Techno

Déconnectés pendant six mois

Six mois sans médias électroniques (à l’intérieur de la maison). C’est le défi que Susan Maushart et ses trois adolescents ont relevé en 2009. De l’expérience est née un livre, The Winter of Our Disconnect, dont la traduction française, Pause, est arrivée il y a quelques mois sur les tablettes des librairies québécoises. Entrevue avec l’auteure et journaliste, de New York, à l'aide du bon vieux téléphone.

Qu’est-ce qui vous a incitée à mener cette expérience peu ordinaire ?

Comme la plupart des adolescents, mes enfants passaient beaucoup de temps devant leur ordinateur. On regarde ça et on se dit : ce serait extraordinaire si je pouvais seulement tirer la plogue, nous déconnecter de ce monde fou dans lequel on vit. Je ne sais pas trop ce qui a fait que cette fantaisie est devenue réalité, à part ma relecture annuelle de Walden (ou la vie dans les bois) de Thoreau. Je suppose que c’était un rappel que si on ne prend pas notre propre vie en main, personne ne va le faire. Mais surtout, je pense que j’en avais juste totalement marre.

Comment vos enfants ont-ils réagi lorsqu’ils ont appris qu’ils devraient se passer de technologie pendant six mois, à l’intérieur de votre maison ?

Ils étaient étrangement amusés. Ils ont protesté un peu, puis ils ont demandé de l’argent ! Ce à quoi j’ai acquiescé. J’ai appris beaucoup plus tard que la raison pour laquelle ils n’ont pas argumenté plus que cela est parce qu’ils ne pensaient pas que j’étais sérieuse. Ça semblait juste trop fou.

Comment se sont passés les premiers jours ?

C’est comme arrêter de fumer. On est entièrement accro. On ne peut pas s’imaginer avoir du plaisir dans la vie si on ne peut pas fumer. Puis, on essaie de se rappeler l’époque où la cigarette n’était pas dans notre vie. On réalise qu’il y avait autre chose. C’est la même chose pour la technologie. […] Ma plus jeune a réalisé qu’elle était en manque de sommeil depuis deux ou trois ans, soit depuis qu’elle a commencé à utiliser les médias sociaux de façon intensive. Pendant les premières semaines, elle dormait constamment. Puis, elle a semblé rattraper le sommeil perdu et cela a eu un impact important sur sa personnalité, sur ses nerfs, sur sa capacité à se concentrer et à maîtriser ses frustrations.

L’expérience a également eu un grand impact sur votre fils…

Mon fils a pris le temps qu’il consacrait aux jeux sur son ordinateur, soit de quatre à six heures par jour, et l’a investi dans le saxophone. D’une certaine manière, son cheminement a été le plus spectaculaire. Il en était très conscient. Le plus émouvant, et aussi le moment le plus dur, c’est quand il a dit, à mi-chemin: « Si seulement je pouvais ravoir ces heures que j’ai passées sur les jeux vidéo, comme je serais un bon musicien. » Cela m’a fait du bien, mais je me suis aussi sentie coupable de ne pas être intervenue avant.

Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

Je ne sais pas pourquoi. C’est difficile d’intervenir. J’ai essayé la méthode douce comme la plupart des parents qui tentent de limiter le temps que les enfants passent devant la télévision, sur leur ordinateur portable ou sur leur téléphone. C’est tellement insidieux. C’est difficile de lutter contre ça. En tant que mère seule, trois enfants…

Est-ce que vos enfants seraient ce qu’ils sont aujourd’hui sans cette expérience ?

De différentes manières, cela a assurément eu un impact durable sur chacun d’entre nous. C’est une chose à laquelle on fait référence tout le temps. Mon bébé Sussy a dit que c’était une expérience déterminante dans sa vie. Elle reste une vraie « native numérique ». Mais, elle prétend qu’elle va faire de même avec ses enfants.

Quel est votre rapport aux technologies aujourd’hui ?

En partie à cause de l’expérience, j’ai décidé de retourner à New York [la famille a vécu plusieurs années en Australie]. À la suite de cela, ma dépendance à la technologie, à certains égards, est devenue beaucoup plus grande. Surtout parce que deux de mes trois enfants sont toujours en Australie. Nous devons donc absolument compter sur Skype, Facebook, Instagram pour communiquer. C’est un peu ironique que la technologie ait rendu possible la vie que je vis en ce moment. Mais je reste critique et, depuis, je ne suis jamais descendue au niveau d’enveloppement technologique où j’étais au début de l’expérience. Et je ne pense pas que ça se reproduira un jour.

« L’expérience » a eu lieu en 2009. Croyez-vous qu’aujourd’hui, les gens sont davantage sensibilisés aux effets néfastes que peuvent avoir ces appareils électroniques ?

Le sujet est maintenant entré dans la conversation publique d’une façon qui ne s’était pas vue en 2009. Je pense que les gens sont beaucoup plus conscients. Est-ce que leur comportement est très différent ? Je ne sais pas. Mais je suis très heureuse de voir que c’est une plus grande préoccupation aujourd’hui.

Pause 

Susan Maushart 

Traduit de l’anglais par Pierre Reignier. 

Nil, 366 pages.

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