Mon clin d’œil

À force de suivre Patrick Lagacé, les policiers du SPVM ont eu le goût d’avoir plusieurs emplois.

Chronique : Dépenses de l’État

Mais où va l’argent ?

L’institut Fraser, un organisme de recherche de Vancouver à droite sur l’échiquier idéologique, d’un naturel hostile au poids de l’État dans l’économie, célèbre chaque année la « Journée de l’affranchissement de l’impôt », le moment théorique où les citoyens cessent de payer des impôts et commencent à gagner de l’argent pour eux.

Dans le cas du Québec, où, selon leur méthode de calcul, l’ensemble des taxes, impôts et charges équivaut à 46,7 % du revenu, c’est le 21 juin que les gens se seraient complètement libérés de leur charge fiscale, en supposant bien entendu qu’à partir du début de l’année, tout leur argent commençait par aller au fisc. Pour l’ensemble canadien, le « Tax Freedom Day » est le 8 juin.

Aussi imagé soit-il, l’exercice a des limites évidentes. Parce qu’il repose sur l’idée que payer des impôts, c’est travailler pour les autres plutôt que pour soi.

Les impôts servent pourtant en très grande partie à payer des services dont nous profitons, comme les routes ou les écoles. Il n’y a pas de scandale à ce qu’on paie de l’impôt, même beaucoup.

Pas plus qu’il y a de scandale à ce que l’État dépense de l’argent. Une autre étude de l’Institut Fraser, dont mon collègue Joël-Denis Bellavance a fait état hier, compare la performance des gouvernements fédéraux successifs, en mesurant leurs dépenses annuelles par habitant, corrigées pour l’inflation.* Ces chiffres montrent surtout que ces dépenses augmentent sans arrêt depuis le gouvernement Diefenbaker à la fin des années 50, avec une pause lors du mandat de Brian Mulroney, suivie d’une légère baisse temporaire à l’arrivée de Jean Chrétien, car les dépenses se remettront à augmenter à la fin de son règne, pour ensuite poursuivre leur ascension jusqu’à aujourd’hui.

La tendance lourde, ici et ailleurs, c’est donc l’augmentation des dépenses publiques et l’élargissement des missions de l’État. En soi, cela ne pose pas de problème économique. Le poids de l’État n’est pas un obstacle à la prospérité, si ses dépenses et les ponctions fiscales sont bien conçues.

Ce n’est pas le niveau des dépenses publiques qui peut poser problème, mais la capacité de les financer, leur soutenabilité : est-ce qu’on a les moyens de les payer ? L’autre problème, c’est leur légitimité : ces dépenses sont-elles judicieuses, donnent-elles des résultats ?

La question de la soutenabilité commence à se poser dans le cas du gouvernement de Justin Trudeau, qui détient le record de dépenses par habitant, grâce à ses importants déficits.

Le Canada, en bonne santé financière, a les moyens de s’endetter. Mais cela ne peut pas durer indéfiniment. Et ce qui peut inquiéter avec ce gouvernement, c’est son absence de volonté de revenir à l’équilibre. Cette stratégie de dépenses a été payante au début, mais elle commence à montrer des failles, que mettait en relief Joël-Denis Bellavance : un rétrécissement des écarts entre libéraux et conservateurs, et le retour du déficit comme objet de préoccupation des citoyens.

Ce débat existe aussi au Québec, mais dans le sens inverse. Comme le déficit a été éliminé, certains se demandent plutôt si le gouvernement Couillard est allé trop loin dans la rigueur. C’est ce qui m’a amené à refaire l’exercice de l’Institut Fraser, et de regarder l’évolution des dépenses par habitant du gouvernement du Québec.

J’ai été franchement étonné du résultat. S’il y a eu des pauses, quelques baisses légères certaines années, la croissance a été très forte. En 1997, la dépense publique par habitant, exprimée en dollars de 2017 pour tenir compte de l’inflation, était de 9407 $. En 2007, elle était passée à 11 131 $. Cette année, elle sera de 12 362 $. Presque 3000 $ de plus qu’il y a 20 ans ; 1100 $ de plus qu’il y a 10 ans.

Si on enlève le service de la dette, pour ne tenir compte que des dépenses de mission, la progression est encore plus forte : 7928 $ il y a 20 ans, 9902 $ il y a 10 ans, contre 11 186 $ cette année.

Cela m’amène à deux réflexions. La première : où est la disparition de l’État ?

Le gouvernement dépense 41 % de plus par habitant qu’il y a 20 ans, 13 % de plus qu’il y a 10 ans. Ces chiffres ne décrivent pas un quelconque complot néolibéral de destruction de l’État. Un grand mythe urbain qui nous rappelle que les faits alternatifs peuvent aussi proliférer dans les cercles de gauche.

L’autre réflexion, c’est l’espèce de contradiction entre la réalité, une hausse très forte des dépenses publiques, et la perception, le sentiment que nous avons reculé, que les services publics – transport, éducation, santé – ne sont plus ce qu’ils étaient.

Comment se fait-il qu’on a l’impression qu’on en fait moins avec plus ? Plusieurs éléments d’explication viennent naturellement à l’esprit – les gains salariaux, les ressources drainées par le rattrapage, les nouveaux services, comme les garderies, l’explosion de la demande, comme en santé. Mais cela n’explique pas tout. Et la question reste entière : où est allé l’argent ?

Une note. Dans ma chronique de mardi, j’ai écrit que Stingray, le fournisseur de services musicaux, annonçait la création de 300 emplois, quand c’est en fait 400. Mes excuses.

Et je tiens à rappeler aux vieux de la vieille, comme moi, que le nom Galaxie est disparu il y a deux ans et demi, pour être rebaptisé Stingray Musique.

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