Hockey

La peste française

Une nouvelle peste frappe la LNH. Une peste venue de France. Teigneuse, hargneuse, qui s’accroche à vous et vous rend fou.

Voici Antoine Roussel, l’attaquant des Stars de Dallas, dont la réputation à travers la ligue est en train de faire boule de neige.

Les joueurs qui parviennent à distinguer quelques mots d’anglais prononcés dans son accent franco-québécois unique le font à leurs risques et périls. Car l’ailier de 24 ans, né à Roubaix mais immigré au Québec alors qu’il était adolescent, a le don de soulever l’ire de ses adversaires.

On l'a vu narguer la foule du United Center de Chicago après avoir marqué un but superbe en tir de pénalité. Et lorsque la marmite déborde et qu’il doit répondre de ses actes, Roussel ne se défile pas et jette les gants.

« Il a le cœur à la bonne place et c’est un gars que tu veux dans ton équipe, confie son coéquipier Alex Chiasson. Il se fout de l’adversaire de l’autre bord. Il écœure tout le monde. »

« Il n’a qu’une vitesse, et c’est 100 milles à l’heure tout le temps, disait le défenseur Stéphane Robidas plus tôt cette saison. Dans les matchs comme à l’entraînement, il a toujours le pied dans le fond.

« Avec sa rapidité, il est capable de créer de l’offensive. Et c’est un petit baveux qui n’a peur de personne. C’est drôle, parce que des fois, les gars n’ont aucune idée de ce qu’il dit… »

Apprendre l’anglais a été un peu difficile au début, convient le sympathique Roussel, dont l’accent français a été passé à la moulinette après quatre années en pension au Saguenay.

« Si l’on rit de moi parce que mon anglais est pourri, je m’en fous, dit-il. Tant pis pour eux s’ils ne comprennent pas ! »

Ras le bol de la France

Roussel est né à Roubaix, dans le nord de la France, mais c’est à Paris, à l’âge de trois ans et demi, qu’il a commencé à patiner.

« Nous emmenions sa sœur au solfège, et il y avait une patinoire tout juste à côté, raconte son père Denis. Alors il allait patiner. Il avait une facilité au patin assez incroyable. Antoine a essayé le rugby et le foot, mais ça ne l’a jamais branché comme le hockey. C’est pour ça qu’il s'est inscrit au programme de sports-études à Rouen. »

Son père connaissait les clubs de foot français, mais n’avait jamais entendu parler de la LNH. Antoine, lui, savait, mais longtemps, il n’en a même jamais rêvé.

« Je regardais les joueurs de première division en France, et je trouvais que c’étaient les meilleurs au monde », raconte-t-il.

À l’âge de 14 ans, Roussel a reçu un coup de pouce inestimable du destin lorsque ses parents ont décidé qu’ils en avaient marre de la France.

« Ça a été un phénomène de ras-le-bol dans nos boulots respectifs pour mon épouse et moi, raconte Denis Roussel. Antoine venait faire des camps d’été au Québec, et à force d’y venir, on y a pris goût. »

Délaissant son poste de direction chez Philips, Denis Roussel et sa femme Véronique se sont lancés dans l’hôtellerie et ont ouvert le gîte l’Escale du Nord au mont Tremblant.

Pour le jeune Antoine, c’était une occasion inouïe de parfaire sa formation de hockeyeur.

« J’ai beaucoup d’amis qui sont restés en France et qui étaient meilleurs que moi, raconte-t-il. Mais arrive un moment où tu parviens de l’autre côté de la montagne et où tu descends au lieu de continuer à grimper.

« Stéphane Da Costa a quitté la France au même âge que moi, et ça nous a donné d’autres étapes à franchir. »

Grâce à son nouveau statut de résident permanent, Roussel a pu accéder au Midget AAA. Ce qu’il n’a pas fait du premier coup, remarquez. À sa première saison en sol québécois, Roussel a été retranché du collège Charles-Lemoyne (Midget AAA) et même du Collège français (Midget Espoirs).

« Je rêvais de jouer junior majeur. Ce n’était pas vraiment de jouer chez les pros, ça, je ne m’y attendais pas. Mais je me souviens avoir écouté un match Gatineau-Drummondville à la télé et m’être dit que ces gars-là étaient bien trop forts.

« Ça change vite… »

Dr Jekyll et M.Hyde

Roussel a tracé son chemin jusqu’à la LHJMQ et s’est retrouvé chez les Saguenéens de Chicoutimi à l’âge de 17 ans. Son capitaine cette année-là ? Un certain David Desharnais.

À l’époque, son style de jeu d’aujourd’hui ne lui était pas encore entièrement familier. C’est le soir de la fameuse foire d’empoigne entre les Saguenéens et les Remparts de Québec en 2008 – le soir où le gardien Jonathan Roy s’est rué sur son vis-à-vis Bobby Nadeau – que Roussel a eu une révélation.

« J’étais en dessous et je me faisais taper dessus. C’est là que tout a commencé, se souvient-il.

« Je sais que les adversaires vont réagir à ma façon de jouer et vont vouloir se battre. Je me suis dit que j’allais me défendre et que je ne me cacherais pas derrière ma visière. J’ai appris sur le tas, et aujourd’hui, c’est devenu ma marque de commerce. »

Selon son père, ce style de jeu n’a rien à voir avec sa personnalité hors glace.

« C’est le jour et la nuit, totalement. C’est un garçon extrêmement calme et serviable. Une vraie pâte. Mais dès qu’il enfile les patins, il devient une véritable teigne ! Bref, il est comme Dr Jekyll et Mr Hyde.

« Mais c’est le rôle qui lui a permis de percer… »

Du porte-à-porte

Roussel n’a jamais été repêché et a dû en quelque sorte faire du porte-à-porte pour poursuivre son ascension.

Un premier camp chez les Blue Jackets de Columbus l’a d’abord ramené sur le plancher des vaches, lui qui se pensait désormais au parvis de la LNH. Deux ans plus tard, il a été invité au camp des Bruins de Providence, mais n’a jamais accédé à celui du grand club.

C’est avec les Canucks de Vancouver qu’il est passé le plus près de signer un contrat. Mais là encore, il a fait chou blanc.

Finalement, les Stars de Dallas se sont manifestés.

« Ils m’ont donné une vraie chance et m’ont dit qu’ils pensaient que je pouvais devenir un bon joueur, confie Roussel. Pour l’estime de soi, après avoir cogné à tellement de portes, c’était énorme.

« C’est comme si on vendait des bibles et qu’on tombait sur quelqu’un qui nous en achète mille d’un seul coup ! »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.