Autisme

Une approche convoitée… et mise en doute

Qu’est-ce que le Québec offre que la famille Ciman n’a pas trouvé en Belgique ? L’intervention comportementale intensive, une approche qui demande beaucoup de temps et d’effectifs. Paradoxalement, au lendemain du premier Forum québécois sur le trouble du spectre de l’autisme, on songe, au Québec, à diversifier l’offre de services.

UNE MÉTHODE ABSENTE EN BELGIQUE

Jointe à Bruxelles, Cinzia Tolfo, présidente de l’association Inforautisme, était bien au fait de l’histoire de la famille Ciman. Si cette famille est venue au Canada, dit-elle, c’est pour accéder à une approche qui n’est pas offerte en Belgique : l’applied behavior analysis (ABA) ou analyse du comportement appliquée, une méthode qui utilise le renforcement pour favoriser l’apprentissage de comportements.* « Chez nous, tout est à construire de ce côté-là, dit Mme Tolfo. Et malheureusement, comme la France, on est encore sous l’influence des thérapies psychanalytiques. » Certes, dit-elle, il existe en Belgique francophone des classes de pédagogie adaptées à l’autisme, mais seulement un enfant autiste sur dix en bénéficie et la formation des enseignants en la matière demeure très limitée. « Nous essayons de convaincre le ministère de l’Éducation d’appliquer l’ABA, mais on a un gros problème : il n’y a pas d’enseignement supérieur d’ABA en Belgique. »

LE MODÈLE QUÉBÉCOIS

Au Québec, l’approche prescrite s’appelle l’intervention comportementale intensive (ICI), une application intensive des principes de l’ABA. En 2003, Québec a confié aux centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED) la mise en place d’un programme universel d’ICI auprès des enfants autistes de moins de 6 ans, à raison de 20 h par semaine. Selon une revue de la littérature publiée en 2011 par l’American Academy of Pediatrics, aux États-Unis, ces interventions comportementales précoces se sont traduites, chez certains jeunes enfants, par des améliorations sur le plan de la performance cognitive, des habiletés de langage et des compétences relatives aux comportements adaptatifs. On a toutefois noté que la littérature scientifique sur cette question demeure limitée en raison de la méthodologie utilisée.

LA CLÉ : L’INTENSITÉ ?

Selon la psychologue Nathalie Poirier, qui travaille depuis 25 ans auprès de familles comptant un enfant autiste, l’intensité est la clé dans l’intervention auprès des enfants autistes. « On travaille, avec l’enfant, à développer tous les comportements qui pourraient lui être disponibles pour fonctionner à la maison, à la garderie, à l’école », explique la psychologue, selon qui l’intervention précoce, à un âge où le cerveau de l’enfant est « plus malléable », est « nécessaire ». « Il y a plus de connexions qui se font en bas âge, poursuit Nathalie Poirier, professeure à l’UQAM. C’est pour ça qu’on met beaucoup d’intensité entre 2 et 6 ans. » Le programme de l’enfant peut intégrer les recommandations d’autres professionnels, dont les psychoéducateurs, ergothérapeutes et orthophonistes.

LES PAYS INDUSTRIALISÉS DIVISÉS

L’approche du Québec s’inscrit dans le courant nord-américain, explique Laurent Mottron, psychiatre et chercheur à l’hôpital Rivière-des-Prairies et au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. Et ce courant, souligne-t-il, ne fait pas l’unanimité. « Vous avez une importante et assez unique division entre les pays développés à ce sujet », dit le Dr Mottron, qui a déjà émis des doutes quant à la pertinence de ce type d’intervention. Laurent Mottron cite l’exemple du Royaume-Uni, qui a publié en 2013 son premier guide de pratique sur le soutien et la gestion des autistes âgés de moins de 19 ans. Les interventions intensives à raison d’un certain nombre d’heures par semaine n’y figurent pas, « parce que la nature de ce qui est changé n’avait finalement pas de valeur adaptative pour l’enfant », explique le Dr Mottron. « La force de la preuve et le rapport coût-bénéfices des interventions comportementales intensives étaient aussi trop faibles. »

LE MODÈLE BRITANNIQUE

Le modèle de la Grande-Bretagne est totalement différent, explique Laurent Mottron : on mise sur l’éducation des parents afin que ces derniers puissent comprendre leur enfant, la façon dont il s’exprime, la façon d’intervenir lors des crises, etc. Le capital humain et financier qu’on libère en cessant de faire de l’intervention au quotidien est disponible sans délai pour la gestion des périodes de crise. Selon le Dr Mottron, les autistes ont un plan de développement différent et « ça ne vaut pas la peine » de les « entraîner » à adopter tel ou tel comportement avant un certain âge, pas plus qu’il n’est utile, illustre-t-il, de forcer l’apprentissage de la propreté avant 2 ans chez un enfant normal.

DE NOMBREUSES LISTES D’ATTENTE

Au-delà des dissensions en matière d’intervention, tous les acteurs s’entendent sur une chose : le réseau public au Québec n’arrive pas à répondre à la demande* (soulignons que la famille Ciman a recours à des services privés). « Actuellement, ce qui est proposé, c’est très onéreux en temps, en ressources humaines, constate la Dre Dominique Cousineau, chef de la section pédiatrie du développement du CHU Sainte-Justine. Les temps d’attente actuels pour la prise en charge en CRDITED sont excessifs. » Après la tenue du tout premier Forum québécois sur le trouble du spectre de l’autisme, le mois dernier, les acteurs réunis ont d’ailleurs recommandé de documenter et proposer d’autres approches. « Après quelques années du modèle unique onéreux de prise en charge de type ICI, avec des succès inégaux, et un embouteillage pour l’accès aux services, on propose de diversifier l’offre de services spécialisés pour répondre de manière plus ajustée pour tout ce spectre de l’autisme », résume la Dre Cousineau.

* Nina Ciman a d’abord eu recours à des services de type ICI. Comme elle ne semblait pas prête à faire ces apprentissages sous cette forme, on lui a plutôt préparé un plan qui s’inspire de plusieurs approches et dans lequel l’ergothérapie occupe une place importante. La famille Ciman a recours uniquement au privé.

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