Éditorial Alexandre Sirois

Il faut qu’on parle de YouTube

Tentons de nous mettre dans la peau des élèves qui ont survécu à la récente tuerie en Floride : traverser cette épreuve doit être atroce. Surmonter le choc. Vivre le deuil. Affronter l’anxiété et le stress post-traumatique…

Mais ce n’est pas tout. Certains de ces jeunes doivent aussi faire face à une pluie de critiques et d’accusations mensongères. C’est ce qui se passe depuis quelques jours. Et c’est pitoyable.

Plusieurs Américains ont salué le courage des élèves qui réclament un meilleur contrôle des armes à feu. Mais plusieurs autres les diffament et les dénigrent avec zèle et passion. Et ils le font avec une efficacité décuplée. Car les auteurs de ces attaques calomnieuses ont trouvé des alliés de taille : Facebook, Twitter et – acteur incontournable de ce drame – YouTube.

On a tendance à l’oublier, mais en matière de désinformation, ce populaire site ne donne pas sa place. Propriété de Google, il s’agit d’une tribune fréquemment utilisée pour diffuser des faits alternatifs et des théories du complot.

Sitôt après la tuerie en Floride, ceux qui utilisaient YouTube pour trouver de l’information à ce sujet étaient principalement dirigés vers des vidéos mises en ligne par des usagers sans scrupules ou trop crédules. On y prétendait notamment que certains des survivants les plus militants n’étaient pas des élèves de l’école, mais des acteurs.

Une de ces vidéos s’est même retrouvée au premier rang des « tendances » du site cette semaine. Quelle honte !

Plusieurs usagers mythomanes diffusaient des extraits de l’une des entrevues accordées après le drame par un des jeunes, David Hogg, où on le voit hésiter et bafouiller. Selon eux, ça prouve qu’il a été « entraîné ». Ils allèguent même que cet élève ne fréquentait pas l’école attaquée la semaine dernière.

La plupart de ces vidéos ont été retirées du site après avoir soulevé une intense controverse. On en retrouvait encore hier, mais elles n’étaient pas mises en évidence. Le même genre de phénomène s’était produit l’an dernier à la suite de la tuerie de Las Vegas.

Les responsables de YouTube avaient pourtant fait leur mea culpa à l’époque. Ils avaient dit avoir modifié leur algorithme. Les vidéos en provenance de sources fiables allaient être privilégiés lors d’événements d’actualité, avaient-ils promis. Constat :  leur échec est lamentable.

Les survivants sont les premières victimes de cette situation inacceptable, bien sûr. Mais les utilisateurs de YouTube aux quatre coins du monde sont aussi lésés. Dupés. Manipulés.

C’est préoccupant, considérant l’augmentation rapide du nombre de personnes qui s’informent sur le web. Aux États-Unis, un Américain sur deux âgé de 18 à 29 ans obtient désormais « souvent » son information en ligne, selon le Pew Research Center.

Un problème fondamental, c’est que l’intox, lorsqu’elle est bien faite, a de bonnes chances de devenir virale. Si on se choque : on aime ou on partage. Si on s’indigne : on aime ou on partage. Mais si ça nous laisse indifférents, YouTube, Facebook ou Twitter sont perdants…

Le chercheur Evgeny Morozov, dans un livre intitulé avec sarcasme Pour tout résoudre cliquez ici, décrit avec justesse le problème auquel nous faisons face. « L’économie gouvernée par la publicité en ligne a produit sa propre théorie de la vérité : la vérité, c’est ce qui attire le plus de paires d’yeux. »

Notre meilleur recours contre ces imposteurs est de prendre conscience de leur présence sur YouTube. De se rappeler que les critères utilisés par ce site pour départager le vrai du faux sont extrêmement flous.

En somme, on a tout avantage à faire preuve d’esprit critique quant à ce qu’on y retrouve.

Car pour l’instant, il est impossible de faire confiance aux dirigeants de YouTube. Ils s’entêtent à traiter ce problème avec une insouciance désolante.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.