Élections Québec 2014

La mise en fiducie n’est pas suffisante, dit le chien de garde des députés

QUÉBEC

 — L’empire médiatique de Pierre Karl Péladeau a une capacité « d’influencer » la population et ne saurait être considéré comme une entreprise ordinaire, estime l’ex-juge en chef Claude Bisson, jurisconsulte de l’Assemblée nationale.

Pour lui, ce n’est pas le fait que les médias de Québecor puissent obtenir des contrats de publicité du gouvernement qui place Pierre Karl Péladeau dans une situation tout à fait particulière s’il est élu. Même dans une fiducie sans droit de regard, tout le monde saura qu’il est l’actionnaire majoritaire d’une entreprise qui a la rare capacité d’influencer la population.

Jurisconsulte à l’Assemblée nationale depuis 18 ans, l’ex-juge en chef Claude Bisson a vu son rôle profondément modifié il y a deux ans avec l’apparition d’un poste de commissaire à l’éthique à l’Assemblée nationale. Il ne s’occupe plus désormais que des avis que peuvent lui demander des députés. Mais, dans le passé, les questions relatives au droit d’un élu de détenir des entreprises tombaient automatiquement sur son bureau.

« À l’époque, les ministres étaient régis par les directives du premier ministre. Cela a changé complètement depuis la nomination du commissaire à l’éthique », a-t-il indiqué lorsque La Presse l’a joint chez lui.

Quand on lui demande s’il voit un problème au fait qu’un élu soit propriétaire de la majorité des actions d’une société, le juge Bisson répond sans hésiter : « Cela dépend. Si c’est le cas d’une société comme Bombardier Produits récréatifs, c’est bien différent que l’ancien patron et l’actionnaire majoritaire d’une entreprise de communications, d’une entreprise de presse. »

« Quand vous êtes propriétaire d’une majorité d’actions, vous exercez toujours une certaine influence, ne serait-ce que morale, observe Me Bisson. Une entreprise de fruits en conserve, ce n’est pas la même chose. »

Le fait que l’entreprise puisse avoir des contrats du gouvernement est secondaire; l’important, c’est « sa capacité d’influencer, disons moralement. Même si les actions sont dans une fiducie sans droit de regard, la personne reste propriétaire de ses actions. Et tout le monde le sait! » Il refuse toutefois de dire si, à son avis, M. Péladeau devrait se départir de ses actions. Pierre Karl Péladeau détient 28 % des actions de Québecor, mais 74 % des droits de vote pour décider des orientations de l’entreprise.

Saint-Laurent perplexe

Le commissaire à l’éthique aura un travail délicat à faire si M. Péladeau est élu député. Me Jacques St-Laurent n’est pas en mesure de dire si le code d’éthique actuel exigerait que M. Péladeau vende ses actions.

« Il n’y a pas de jurisprudence », dit le commissaire, au sujet d’un élu actionnaire de contrôle d’une société publique qui détient notamment des intérêts dans des médias. Il refuse de commenter le cas spécifique de M. Péladeau, car il n’est pas encore élu. Le candidat a déjà pris contact avec lui et s’engage à placer ses actions dans une fiducie ou un mandat sans droit de regard 60 jours après son élection.

C’est nécessaire, mais peut-être pas suffisant. Une telle fiducie ne suffit pas à prévenir tous les risques de conflits d’intérêts, explique Me Saint-Laurent. « Un ministre a la responsabilité de ne pas vous placer dans une situation de conflit d’intérêts », dit-il. Par exemple, le ministre de la Culture, Maka Kotto, quittait le Conseil des ministres lorsque des questions touchaient sa conjointe, mairesse de Longueuil.

Le commissaire dit ne pas pouvoir « se prononcer sans connaître la nature des intérêts en jeu » ou « les responsabilités » qu’occuperait M. Péladeau. Il fait des recommandations distinctes basées sur les particularités de chaque cas. Elles varieront, par exemple, si le ministre est responsable d’un dossier lié ou non au secteur d’activité de la société dont il est actionnaire.

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