Chronique

La sécurité des taxis : « priorité prioritaire » ?

Le maire Denis Coderre a fait vite dans le dossier de la sécurité des chauffeurs de taxi. Une promesse, suivie d’une consultation, d’une série de recommandations et d’une décision, le tout en quatre mois à peine.

Bravo.

Mais pourquoi un tel empressement, déjà ? Et pour régler quel problème, au juste ?

J’avoue que depuis l’élection de Denis Coderre, la fixation sur les taxis de ce dernier me laisse perplexe. C’est évidemment un enjeu d’importance, mais de là à l’élever au rang de « priorité prioritaire » ? En faire l’objet de l’un des premiers gestes « tangibles » de son mandat, comme il a dit ?

J’en suis même venu à me demander si cela n’avait pas à voir avec certaines décisions récentes, comme la réduction du service de la navette 747 vers l’aéroport et le moratoire imposé aux voitures en libre-service, deux ennemis jurés des taxis.

Je trouve cela d’autant plus curieux que le maire a choisi d’aborder le sujet sous l’angle de la sécurité des chauffeurs, ce qui l’a amené à imposer des caméras dans toutes les voitures à la vitesse de l’éclair.

Or, il y a certes des améliorations à apporter rapidement à l’industrie du taxi, mais je ne suis pas sûr qu’elles concernent la sécurité des chauffeurs et des usagers…

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La mort horrible de Ziad Bouzid, assassiné à l’intérieur de son taxi en novembre dernier, a braqué les projecteurs sur l’insécurité des chauffeurs. Métier difficile, il l’est encore plus pour ceux qui le pratiquent la nuit.

Mais de même qu’il faut relativiser l’enlèvement qui a eu lieu dans une pouponnière de Trois-Rivières, il faut remettre en perspective la mort de Ziad Bouzid, aussi tragique soit-elle.

« L’évolution de la victimisation déclarée », selon l’expression du SPVM, montre en effet qu’il s’agit d’un incident isolé dans un contexte d’amélioration constante de la sécurité des chauffeurs.

D’abord, il n’y a jamais eu aussi peu de vols qualifiés contre des taxis. On en dénombrait environ 130 par année dans les années 90, 76 en 2007, 34 en 2010 et 22 l’an dernier.

Ensuite, le « taux de victimisation », qui comprend les vols qualifiés et les homicides, est moindre à Montréal que dans la plupart des autres villes de l’Amérique du Nord. En moyenne, on déplore un vol qualifié par 150 000 courses.

Un vol est toujours un vol de trop, on s’entend. A fortiori un homicide.

Mais l’ampleur du phénomène justifie-t-elle qu’on en fasse LA priorité ? Dans un contexte où l’on n’a cessé de renforcer la sécurité des chauffeurs depuis 1997 avec une foule de mesures, dont les signaux d’urgence sur les lanternons, les boutons panique reliés au 911 et le droit d’installer une caméra ou une paroi dans le véhicule au besoin ?

La question se pose, d’autant que le maire Denis Coderre, en plus de relancer pour une énième fois l’idée de doter les véhicules d’une couleur unique, n’a garanti qu’une chose lors de son annonce, lundi dernier : la généralisation des caméras de surveillance dans tout le parc de taxis. Une décision prise sans qu’on en connaisse le coût et, surtout, la fraction qui reviendra aux contribuables.

Au risque de paraître sans cœur, il y a plus urgent…

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Si on a beaucoup parlé de la sécurité des chauffeurs lors de la consultation sur l’industrie, ce printemps, on a fait peu de cas du service offert. Et pourtant, il y a 604 bonnes raisons d’élargir le propos lorsqu’on parle de l’avenir de cette industrie.

Il y a en effet eu 604 plaintes déposées contre des taxis en 2013. Il est vrai que le nombre s’inscrit dans la tendance des dernières années, avec un nombre de plaintes fluctuant entre 545 et 699. Mais il faut surtout retenir qu’il n’y a aucun signe de baisse depuis au moins une décennie.

Dans un contexte où l’industrie du taxi affirme en arracher, avec raison, la « priorité prioritaire » ne devrait-elle pas être une diminution du nombre de plaintes ?

L’implantation de caméras ne fera rien pour augmenter le salaire des chauffeurs, changer l’image de l’industrie ou accroître la qualité du service offert.

On le voit, l’âge moyen des véhicules s’est amélioré en 10 ans. Mais la propreté, elle, laisse encore parfois à désirer. Il est aussi difficile de féliciter l’ensemble des chauffeurs pour leur courtoisie (plainte no 1), leur professionnalisme (il est plus fréquent de tomber sur un chauffeur au cellulaire qu’un chauffeur apte à vous parler) et leur conduite cowboy.

Ne devrait-on pas penser à un code d’éthique, des normes professionnelles ou encore des cours sur la courtoisie ?

Le maire Coderre promet certes une politique du taxi plus large pour la fin de l’été, en lien avec la consultation des derniers mois. Mais cette consultation portait d’abord et avant tout sur la sécurité, n’abordant le service que par la bande.

Si la priorité de l’industrie est réellement de « promouvoir l’image des chauffeurs à titre de professionnels du transport de personnes », il aurait été plus pertinent de faire l’inverse.

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