OPINION PASCALE NAVARRO

ADMINISTRATION PUBLIQUE CANADIENNE
Toutes les mères sont des femmes

Qu’est-ce qu’une mère ?

Cette question a toujours intéressé les féministes qui, à travers l’histoire, ont beaucoup débattu du rôle social maternel. Sommairement résumé, elles ont conclu de leurs analyses que ce rôle aliénait les femmes, ou, dans le camp opposé, qu’il était l’accomplissement suprême féminin. La réalité est certainement entre les deux, mais une chose demeure : une mère est une femme, ce qui semble oublié dans le débat de mots que nous sert actuellement le gouvernement libéral fédéral.

Pourquoi soustraire ?

Nous venons d’apprendre que l’administration publique canadienne préfère indiquer sur les formulaires officiels de demande, par exemple, d’un numéro d’assurance sociale, de s’identifier au « parent » 1 ou 2, plutôt qu’à la « mère » ou au « père ».

Nous ne sommes pas le seul pays où se font ces changements. En France aussi, la Ville de Paris a décidé de remplacer les mots « père » et « mère » par « parent 1 » et « parent 2 » sur les documents d’état civil.

Je n’ai rien, mais rien du tout contre le mot « parent », un mot magnifique et plein de sens. Mais pourquoi enlever la possibilité, pour les personnes qui le désirent, de s’identifier comme père ou mère ? Pourquoi ne pas additionner plutôt que soustraire ?

La politique de la table rase illustre un manque de pragmatisme de la part des autorités, mais surtout, une grande incohérence d’un gouvernement qui se dit pourtant tellement féministe.

Et le féminin ?

Je suis entièrement d’accord avec le fait que certains individus n’aient pas besoin de s’associer au « féminin » ou le rejettent, et je prône avec conviction qu’ils en ont le droit. Mais gommer de notre vocabulaire administratif le mot « mère » ? Ce n’est pas tant l’aspect maternel que je revendique, mais le féminin qui le définit.

Vous me demanderez ce qu’est ce « féminin ». Sans être essentialiste, je crois qu’on peut s’entendre sur un fait : c’est notre humanité.

Et il y a plein de manières d’être femme, je ne suis pas en train de parler d’« éternel féminin », mais d’une condition humaine. Je veux que cette condition existe et imprègne notre vie sociale, nos droits, nos lois, notre monde.

MèreS porteuseS

Or ce que révèle cette directive fédérale témoigne d’une grande insouciance et d’une méconnaissance des débats féministes. Tout comme le démontre la proposition du député libéral de Mont-Royal, Anthony Housefather, de décriminaliser le fait de payer des mères porteuses, affirmant que la gestation pour autrui peut être une façon de gagner de l’argent. Difficile de comprendre qu’un représentant de l’État puisse souscrire à l’idée de commercialiser la maternité, et ne pas voir ses dérives, ses risques pour les femmes et les enfants.

Un même débat

D’un côté, on exclut le féminin en choisissant le mot « parent » plutôt que « mère » ; de l’autre, ce féminin est réduit à la fonction de reproduction que l’on encourage à rétribuer. En quelques jours à peine, on balaie d’un revers de la main des principes humanistes féministes, démontrant un manque total d’éthique et de savoirs.

Supprimer de documents officiels un mot si lourd de sens que celui de « mère » sans plus de débats est inquiétant.

Laisser entendre, comme l’a dit ce député, que des femmes pauvres et vulnérables pourront choisir de porter un enfant et en faire une « avenue économique » (La Presse canadienne, 27 mars), voilà qui donne froid dans le dos. Quelle vision des femmes ont ces politiciens ?

Parmi les collègues de M. Housefather, la députée Hedi Fry a répondu à ce projet qu’il lui faisait penser à La Servante écarlate – ce roman de Margaret Atwood dans lequel les femmes sont réduites à leur fonction reproductrice et dont on a tiré une série télé – et j’avoue que c’est aussi ce qui m’est venu à l’esprit.

Espérons que d’autres politiciennes se manifestent haut et fort pour rappeler que toutes les femmes ne sont pas mères, mais que toutes les mères sont des femmes. Et c’est en tant que telles qu’elles doivent d’abord exister.

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