MONOPARENTALITÉ

Pour en finir avec le misérabilisme

Lu sur un forum de mères, dernièrement : « Cessons de culpabiliser. […] Les choses sont ce qu’elles sont, à nous d’en tirer le meilleur. Il n’y a pas que des désavantages à être “maman en solo”. Bien au contraire. Vous n’êtes pas convaincues ? Allez donc consulter vos copines mariées ! Tout un régal. »

S’en suivaient les applaudissements (« quel plaisir de te lire ! »), surenchères (« être de bonne ou de mauvaise humeur, sans subir celles d’un autre », « plus de disputes avec le père au sujet de l’éducation »), et les sous-entendus cocasses quant à la liberté enfin retrouvée (« j’ai quand même un homme dans ma vie que je vois de temps en temps ! »).

On est loin, convenons-en, du discours souvent misérabiliste qui teinte généralement les discussions entourant la monoparentalité. Il faut dire que le concept a drôlement évolué depuis les 40 dernières années. Jadis réservée aux mères-adolescentes ou aux veuves, la monoparentalité est de plus en plus perçue comme une « possibilité assumée », observe Laura Bernardi, organisatrice principale d’un colloque paneuropéen sur la question, qui s’est tenu à l’Université de Lausanne au début du mois. « C’est aujourd’hui dans le domaine des possibles. »

« Ce n’est plus hors norme, et c’est presque banal comme situation de nos jours, à cause de l’instabilité des unions », poursuit-elle. Et même si ce n’est jamais simple financièrement, souvent très dur psychologiquement et archi éprouvant émotionnellement, ce n’est pas non plus tout noir, fait-elle valoir. « Il y a aussi beaucoup de côtés positifs. On peut organiser sa vie, il n’y a plus à négocier, on fait moins de compromis. C’était d’ailleurs le but de notre colloque : examiner comment cette résilience s’exprime aujourd’hui, dans différents contextes. »

UNE MONOPARENTALITÉ CHOISIE ?

Si jadis, les mères à la tête d'une famille monoparentale avaient tendance à être très jeunes, peu éduquées et souvent plongées dans un monde de pauvreté, le profil est désormais beaucoup plus varié. « Une monoparentalité “choisie”, ou du moins assumée, aurait-elle remplacé la monoparentalité “subie” ? », s’interroge d’ailleurs la chercheuse dans le programme du colloque.

Il faut dire qu’aujourd’hui, les femmes (puisque c’est toujours en grande majorité des mères dont il est ici question) arrivent dans la monoparentalité par toutes sortes de chemins. Soit elles décident de faire un enfant seules, soit elles n’ont pas trouvé de bon compagnon, soit elles sortent d’une union malheureuse.

La grande différence, désormais, c’est que de plus en plus, elles ne sont pas dépendantes, économiquement parlant. Et c’est là que réside toute la nouveauté du phénomène, croit aussi Naomi Cahn, professeure de droit à l’Université George Washington, qui vient de signer un article dans Slate sur la question (Just say no, for white working-class women, it makes sense to stay single mothers). « Plusieurs femmes finissent par se rendre compte qu’elles se débrouillent très bien toutes seules, dit-elle. Car de plus en plus, alors que les femmes deviennent autosuffisantes économiquement, elles ne dépendent plus de personne pour subvenir aux besoins des enfants. Et ça, c’est tout récent comme phénomène. »

TROIS GÉNÉRATIONS DE FÉMINISME PLUS TARD…

Pour la sociologue Diane Pacom, cette tendance, « très symptomatique des changements dans la vie des femmes des 30 à 40 dernières années », incarne en quelque sorte « le pactole » : « La monoparentalité a longtemps été perçue comme un échec, quelque chose d’atypique, alors qu’on vivait sous le joug des représentations symboliques du couple traditionnel. Le père pourvoyeur s’occupait de l’argent. Et la mère, enfermée chez elle, avait le fardeau de la maisonnée. Trois générations de féminisme plus tard, tout ça a pris le bord. »

Du coup, les femmes peuvent faire des choix, inculquer des valeurs – leurs valeurs – , et ce, à leur manière. « Il y a quelque chose de très euphorisant là-dedans, poursuit la sociologue. Car depuis que le monde est monde, les femmes n’ont jamais eu cette autonomie ! »

Gros bémol : malgré le nombre toujours croissant de séparations, le modèle dominant, dans la culture populaire, que ce soit en publicité, au cinéma ou à la télé, demeure le couple et la famille nucléaire.

La mère seule continue donc de vivre avec un « sentiment d’échec par rapport au couple », conclut Diane Pacom. « Mais si la tendance se maintient, d’ici 10 ans, cette autonomie des mères pourrait incarner le pendant positif de l’échec du couple. Car c’est, dans l’histoire des femmes, la première fois qu’elles ont l’occasion d’avoir une telle autonomie. Et ça, je trouve ça très intéressant. »

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