OPINION SOCIÉTÉ

Le Québec va mal

La province souffre d’un décrochage social ; nos élites ont besoin de refaire leurs devoirs

Après les élections partielles du 5 décembre, notre premier ministre célébrait la victoire de son parti dans l’une des quatre circonscriptions concernées, sans commenter la forte baisse du vote libéral dans les quatre circonscriptions soumises au vote. Il assurait que, grâce à son gouvernement, la confiance était revenue au Québec.

Parmi bien d’autres facteurs, ce genre de déclaration, typique de la langue de bois, contribue à éloigner les Québécois de la politique. Car ces propos sont très éloignés de la vérité. Un sondage CROP, dont La Presse du 10 décembre faisait état, confirme en effet ce que des sondages précédents avaient révélé.

Les résultats, il est vrai, font voir quelques contradictions, mais on aurait tort d’ignorer les données principales.

Les Québécois, en majorité, rejettent la politique et les partis. Ils ne font pas davantage confiance aux médias, aux gens d’affaires et aux scientifiques.

Pire encore : pas moins de 60 % des personnes interrogées se disent fortement ou très fortement exclues de notre société ! Le Québec va mal, Monsieur Couillard.

Les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là. Concernant le rapport entre la majorité et les minorités ethnoculturelles, le sondage révèle que 44 % des répondants souhaiteraient carrément une interdiction de l’immigration musulmane et une majorité d’entre eux pense que le Québec a accueilli trop de réfugiés (moins de 4000). On apprend aussi que 47 % des répondants sont intolérants ou très intolérants envers les minorités.

Ajoutons à ce tableau la corruption dans l’administration publique, la pauvreté qui s’est remise à la hausse après plusieurs années de baisse, les ratés dans l’intégration socioéconomique des immigrants, une gestion de certaines institutions qui ne cesse d’inquiéter – la réforme échevelée de la santé, une administration scolaire à bout de souffle, un appareil judiciaire contraint de gracier des prévenus et même des criminels.

Et il y a aussi l’analphabétisme, l’abandon scolaire, le sous-financement des universités et le caractère toujours élitiste de l’enseignement supérieur (une proportion étonnamment élevée d’étudiants sont encore aujourd’hui les premiers dans leur famille à y accéder, jusqu’à 60 %-70 % dans certaines universités).

Troublant

Fondée sur des faits et des données fiables, cette esquisse appelle réflexion. Elle est sombre, certes, et pourtant je m’en tiens aux maux principaux, ceux qui à long terme peuvent affecter les fondements d’une société, surtout quand il s’agit d’une petite nation comme la nôtre. 

Parmi ces fondements menacés, celui qui me paraît le principal est notre régime démocratique. Si rien n’est fait pour contrerle décrochage social, une dégradation est à prévoir là aussi.

N’est-ce pas ainsi qu’une société, lentement, imperceptiblement, en vient à se gangrener ? D’abord, la méfiance envers tous ceux et celles qui exercent des fonctions d’influence ou d’autorité, puis le rejet des institutions, et enfin l’essor d’un nouvel individualisme sans programme, nourri d’un sentiment d’abandon et d’impuissance. Si on n’y prend garde, la table sera bientôt mise pour un populisme à la québécoise. Déjà, un certain Rambo se pointe à l’horizon, qui veut « réparer le Québec » et « donner une voix à ceux qui n’en ont pas ». Ne sourions pas. Pourquoi faut-il que ce soit Rambo qui le dise ?

Cependant, l’économie va très bien, dit-on. On se réjouit surtout, et avec raison, du très bas taux de chômage. Mais même là, le portrait n’est pas aussi rose qu’on le prétend. La population vieillit, il y a donc moins de demandeurs d’emploi. Les nouveaux postes sont en bonne partie précaires et mal payés. Et s’il y a vraiment production de richesse, comment est-elle répartie ?

Le Québec souffre d’un décrochage social ; nos élites ont besoin de refaire leurs devoirs. Cela dit, évitons l’alarmisme ; nous avons encore du temps. Mais sachons l’utiliser ; les résultats du sondage CROP sont troublants.

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