Éducation

AUX CÉGEPS DE L’ÉCHEC

Bon an, mal an, ils sont des milliers de jeunes à être admis au cégep dans un programme de mise à niveau parce qu’il leur manque des préalables. Ils sont aussi des milliers de cégépiens, chaque année, à échouer à la moitié de leurs cours et à avoir une deuxième, ou une troisième, ou une quatrième chance. Parce que pour rester à flot, les cégeps ont besoin d’eux. UN DOSSIER DE LOUISE LEDUC

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De nombreuses chances pour réussir

Bien que certains cégeps comptent jusqu’à un élève sur cinq qui échouent à la moitié de leurs cours et bien que des millions en aide particulière soient dépensés, le ministère de l’Éducation ne fait pas de suivi de la situation.

Aux 48 cégeps publics de la province, on a posé la question suivante (sur une période de 10 ans) : combien de vos élèves ont de ces « contrats de réussite » que doivent signer tous ceux qui, à la session précédente, ont échoué à au moins la moitié de leurs cours ?

Au total, 34 cégeps représentant 115 227 élèves nous ont transmis leurs données.

En moyenne, dans cet échantillon, 10 % des effectifs se trouvaient dans cette situation à l’hiver 2016 (la session utilisée comme référence) avec des pointes de près de 20 % à certains endroits, comme aux cégeps de Valleyfield et d’Ahuntsic.

Fait à noter, certains cégeps (Lionel-Groulx, le cégep de l’Outaouais) n’ont jamais répondu à la demande d’accès à l’information.

Quelques cégeps (Bois-de-Boulogne, Granby, Gaspésie-les-Îles) nous ont dit ne pas colliger de données sur ces « contrats de réussite » signés par les élèves en situation d’échec.

Au ministère de l’Éducation, la réponse a été la même. « Après plusieurs vérifications, indique la porte-parole Esther Chouinard, nous ne possédons aucune information sur les contrats de réussite du cégep. Ces contrats sont entre l’établissement et l’étudiant. »

La suite de la « taxe à l’échec »

Les « contrats de réussite » ont été mis en place dans la foulée de l’abandon de la « taxe à l’échec » qui, entre 1997 et 2003, prévoyait l’imposition de frais de 2 $ par heure de cours échoué. Par exemple, un cours de 45 heures coûtait 90 $ à l’élève qui n’avait pas eu la note de passage.

Si le cégépien n’a plus à vider son petit cochon en cas d’échec, celui qui n’a pas la moyenne dans la moitié de ses cours doit néanmoins promettre de faire mieux.

La clémence varie d’un cégep à l’autre : certains suspendent pour une session celui qui échoue à la moitié de ses cours une deuxième fois ; d’autres attendent que cela se soit produit quatre fois avant de sévir.

La réponse transmise par le cégep de l’Abitibi-Témiscamingue témoigne aussi de balises fluctuantes au fil des ans.

À ce cégep, on nous a répondu qu’entre 2010-2011 et 2016-2017, on est passé de 245 « contrats de réussite » en 2010-2011 – des élèves en situation d’échec, quoi – à 110 en 2016-2017.

En toute transparence, au bas du tableau, on nous a fait remarquer qu’il n’y avait pas eu de miracle. Avant 2012-2013, les élèves étaient sous contrat de réussite lorsqu’ils avaient 40 % d’échecs ou plus, nous précise-t-on. Depuis, un cégépien doit avoir échoué à 50 % ou plus de cours pour recevoir un avertissement sous forme de contrat de réussite.

Des effectifs à maintenir à flot

Au cégep de Valleyfield, Anne-Marie Lefebvre, directrice des affaires corporatives, résume la situation qui vaut pour son établissement comme pour tant d’autres.

« Les cégeps sont financés par tête d’étudiant. Si on a 2100 étudiants et que la session suivante, on n’en a plus que 1700, on ne survivrait pas. »

— Anne-Marie Lefebvre, directrice des affaires corporatives au cégep de Valleyfield

Mme Lefebvre relève que le nombre d’emplois, entre autres choses, est corrélé au nombre d’élèves.

Il y a donc nécessairement « ce souci d’avoir un effectif étudiant suffisant » alors que la démographie joue contre les cégeps.

Au cours des dernières années, il y a eu une certaine baisse des critères d’admission. « Mais en même temps, on ne peut pas trop les abaisser, fait remarquer Mme Lefebvre. Parce que s’ils entrent, les étudiants doivent aussi ressortir, et être diplômés. »

Il faut donc, dit-elle, « trouver un point d’équilibre ».

Si notre demande d’accès à l’information ne portait que sur les cégeps publics, le son de cloche d’un directeur adjoint d’un cégep privé qui a demandé à rester anonyme pour ne pas nuire à la réputation de son cégep porte à croire que le tableau n’est pas si différent de ce côté.

« Chez nous aussi, on a légèrement baissé les critères d’admission », dit-il, relevant le fait qu’il n’y a pas « de financement garanti » et qu’il est nécessaire de faire le plein d’élèves.

Dans ce cégep, indique-t-il, on offre désormais des cours de mise à niveau en mathématiques pour ceux qui sont admis en administration sans avoir les préalables, ce qui aurait été impensable il y a quelques années.

Les cégeps n’ont pas oublié qu’il y a un peu plus d’un an, « le Conservatoire Lassalle a dû mettre la clé dans la porte », relève ce directeur.

Le Conservatoire Lassalle a en effet déclaré faillite, expliquant que les baisses démographiques importantes au collégial avaient eu raison de lui.

Charles Duffy, directeur des études par intérim au collège Ahuntsic, explique que le ministère de l’Éducation « a assoupli il y a quelques années les conditions d’accès au collégial ».

Dans la mesure où les élèves répondent à ces nouveaux paramètres, « nos valeurs nous amènent à favoriser l’accessibilité aux études supérieures. Dès qu’il y a de la place dans les programmes d’études, on ne discrimine pas ».

Une adaptation pour les enseignants

S’adapter à la force de chacun, « ça fait partie de la job de prof », dit Lucie Piché, présidente de la Fédération des enseignants de cégep.

Cela étant dit, « la faiblesse de certains dossiers, ajoutée aux particularités des étudiants en situation de handicap, vient certes alourdir la tâche. Des copies sont plus longues à corriger, il faut de l’encadrement supplémentaire, voire, parfois, un investissement émotif particulier ».

Dans les cégeps, les centres d’aide pour élèves en difficulté se multiplient, tout comme les libérations de professeurs appelés de plus en plus à se consacrer aux besoins particuliers de ces jeunes.

Cela ne signifie pas que ceux qui échouent ne devraient pas se trouver là, fait observer Carole Lavallée, directrice des études au cégep de Saint-Laurent.

Dans plusieurs cas, fait-elle observer, l’échec est avant tout la résultante d’un manque de maturité ou de motivation. « Ils arrivent du secondaire, ils ont des trous à l’horaire et ils ne comprennent pas qu’ils doivent y mettre l’effort », signale Mme Lavallée.

Il y a aussi le cas de ces nombreux cégépiens « qui ne réussissent pas parce qu’ils décident de ne plus suivre leurs cours ou parce qu’ils n’aiment pas leur prof. Plusieurs étudiants ne sont pas tout à fait sortis de l’adolescence et ils ont beaucoup la pensée magique ».

Mais ne sont-ils pas préoccupés par leur cote R ? Ceux qui veulent aller à l’université, oui, mais pour plusieurs autres, ce n’est pas une si grosse préoccupation, relève Mme Lavallée.

« Pour nous, le contrat de réussite, c’est le coup de semonce qui vise à les remettre sur les rails. »

— Carole Lavallée, directrice des études au cégep de Saint-Laurent

Dans plusieurs cas, les jeunes retrouveront leur cap. Dans d’autres, non.

« Mais quand même, de recevoir une formation, ce n’est jamais vain, relève Mme Lefebvre, du cégep de Valleyfield. Bien sûr, il faut avoir des bases minimales, mais il faut accommoder le plus grand nombre d’étudiants possible. »

Après tout, à l’école secondaire, un jeune peut très bien avoir vécu une adolescence difficile qui aura nui à ses notes, malgré un très bon potentiel.

— Avec William Leclerc, La Presse

Éducation

Le cégep est un droit, mais pas le diplôme

« Le cégep, c’est un droit », lance Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps du Québec.

« Ceux qui avaient de la misère au primaire et au secondaire sont nombreux à poursuivre leurs études au cégep. Et la Charte des droits ne protège pas seulement les jeunes de moins de 16 ans. »

En entrevue – comme dans ses représentations auprès du gouvernement –, Bernard Tremblay plaide donc pour que les cégeps, qui accueillent de plus en plus d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage ou des handicaps, aient droit à de plus généreuses subventions, comme en bénéficient, fait-il remarquer, les élèves du primaire et du secondaire.

D’emblée, chaque année, le programme Tremplin DEC admet au cégep 12 000 élèves. En très grande partie, ce sont là des jeunes à qui il manque des cours préalables, mais qui s’engagent à tout faire pour assurer leur réussite.

Pour ceux-là, comme pour tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage ou des handicaps, le cégep doit être le plus accueillant possible, dit M. Tremblay.

Mais que reste-t-il de l’idée voulant que les cégeps fassent partie de l’éducation supérieure ?

C’est là un « discours élitiste », selon M. Tremblay.

« L’éducation, au Québec, est un service public qui doit être offert sans discrimination. »

— Bernard Tremblay, président de la Fédérationdes cégeps

L’essayiste Normand Baillargeon, qui a longtemps été professeur à l’UQAM et avant cela au cégep, a répété sur maintes tribunes sa consternation de voir arriver à l’université des étudiants trop faibles en raison d’une réforme de l’éducation inadéquate à son avis.

Certes, « notre désir d’égalité des chances fait admettre des gens – avec des troubles de toutes sortes – qui n’auraient pas rêvé de fréquenter le cégep il y 30 ans ».

N’empêche, selon lui, « et malgré un certain clientélisme déplorable », c’est globalement une bonne chose, « et les profs sont nombreux à être fiers de sauver un certain nombre d’étudiants ».

Difficultés d’apprentissage

Fait à noter, les difficultés d’apprentissage (la dyslexie, mais aussi la dysorthographie, la dyscalculie, les troubles de l’attention, etc.), considérées comme telles jusqu’à tout récemment, sont désormais considérées comme des handicaps.

Résultat : le nombre de cégépiens considérés comme handicapés a bondi, passant de 1303 en 2007 à 11 337 selon le dernier décompte de 2014 de la Fédération des cégeps.

Ceux qui ont ces problèmes arrivent au cégep avec un diagnostic. De ce diagnostic découlent des accommodements que sont tenues d’accorder les écoles – un peu plus de temps pour faire un examen, des examens adaptés aux besoins de ces élèves, etc.

Cela ne signifie pas pour autant que ces cégépiens soient immunisés contre toute suspension ou expulsion et que l’obtention du diplôme soit un droit, comme l’a appris un jeune Beauceron il y a quelques semaines.

Dans une sortie publique, Charles McKenna, élève du cégep de Beauce-Appalaches, a contesté le fait qu’il soit empêché d’y poursuivre ses études à la suite de trop nombreux échecs. Selon lui, ses handicaps – sa dysphasie, associée à une apraxie et à une dyspraxie – devraient le protéger contre pareille mesure.

Dans les faits, si ses handicaps lui garantissaient des accommodements, ils ne pouvaient lui garantir un diplôme.

Mais ceux qui échouent sont loin d’être systématiquement ceux qui sont considérés comme handicapés, nous ont dit plusieurs acteurs du réseau, qui ont observé que ce sont souvent des élèves habitués de redoubler d’efforts.

Souvent, les cégépiens se retrouvent en situation d’échec « parce qu’ils viennent de découvrir la radio étudiante et qu’ils tripent ou parce qu’ils viennent pour la première fois de quitter le nid familial et qu’ils sont déstabilisés », évoque Lucie Piché, présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep et enseignante en histoire.

Même si tout cela ensemble fait en sorte que des milliers de cégépiens sont en situation d’échec, Mme Piché plaide, comme M. Tremblay, pour un cégep qui soit le plus inclusif possible.

À son avis aussi, le cégep est un droit ? « Ce n’est pas vraiment ma perspective. »

« Ma perspective, c’est surtout de penser qu’il faut tout faire pour offrir le soutien nécessaire à un étudiant. Et réussir, ça peut aussi souvent vouloir dire d’aider un jeune à trouver une solution de rechange. » 

— Lucie Piché, présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep

Ainsi, Mme Piché plaide pour qu’on mise davantage sur l’orientation, pour qu’on aide encore plus les élèves à trouver une formation qu’ils pourront réussir, mener à terme, pour laquelle ils seront motivés et qui leur permettra de contribuer au mieux à la société.

D’autant qu’au bout du compte, rappelle Bernard Tremblay, de la Fédération des cégeps, « la société a un grand besoin de main-d’œuvre ».

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