MICROBIOTE INTESTINAL

L’intestin, ce deuxième cerveau

Le lien entre le cerveau et l’intestin n’est pas en soi nouveau, nous disent les spécialistes consultés.

« On sait que l’intestin a son propre cerveau, son système nerveux et ses millions de neurones, indique le Dr Pierre Poitras, gastroentérologue à l’hôpital Saint-Luc et professeur titulaire de médecine à l’Université de Montréal. Ce qui est intéressant, c’est son influence sur les fonctions extra-intestinales. Le cas le plus évident étant celui de la dépression parce que les antidépresseurs agissent sur la sérotonine, qui se trouve à 95 % dans l’intestin et non dans le cerveau. »

Le stress qui nous fait vomir ou aller aux toilettes est un exemple concret de ce lien entre le cerveau et l’intestin, mais ce qui est probablement nouveau, estime-t-il, c’est le trajet inverse : de l’intestin au cerveau.

La nutritionniste et gastroentérologue Francisca Joly Gomez, auteure de L’intestin, notre deuxième cerveau, écrit justement : « Des chercheurs s’intéressent maintenant au côlon des personnes atteintes de la maladie de Parkinson, d’autres s’interrogent sur le rôle des bactéries composant le microbiote comme accélératrices potentielles de l’obésité. On parle même d’un deuxième cerveau dans le ventre. »

LA GÉNÈSE

L’étude qui est sans doute à l’origine de la transplantation fécale et qui a donné une impulsion extraordinaire à la recherche sur le microbiote intestinal a été menée par le Dr Stephen Collins il y a plus de 10 ans à l’Université McMaster de Hamilton, rappelle le Dr Poitras.

Le Dr Collins a en effet mené une expérience auprès de deux groupes de souris : un groupe dit « normal » et un autre réunissant des souris déprimées. Premier constat : les deux types de souris n’avaient pas le même microbiote (l’ensemble des bactéries de la flore intestinale). Il a donc pris les bactéries de l’intestin de la souris déprimée et il les a transférées dans l’intestin de la souris normale… qui est devenue déprimée !

« Scientifiquement, c’est extraordinaire. Le fait de pouvoir catégoriser les bactéries – grâce aux progrès de la génétique – nous ouvre un champ de recherche magnifique. »

— Le Dr Pierre Poitras

« On s’intéresse maintenant au microbiote des personnes obèses, déprimées ou cardiaques. Mais qu’est-ce que ça révèle ? Face à des familles de 20 000 bactéries, on fait quoi ? C’est un casse-tête qu’on est encore loin de résoudre. »

Est-ce que ces transferts de microbiotes peuvent permettre de soigner des maladies inflammatoires de l’intestin ? Les microbiologistes et gastroentérologues sont à la fois prudents et optimistes.

Le Dr Poitras, qui vient de publier le premier ouvrage de référence en gastroentérologie en français (L’appareil digestif – Des sciences fondamentales à la clinique, aux PUM), évoque deux études récentes qui n’ont pas été concluantes, même si l’une d’elles a soulevé des questions intéressantes et que les recherches, nombreuses, se poursuivent.

INTÉRÊT GRANDISSANT

« On a procédé à une transplantation fécale auprès de 40 personnes souffrant de colite ulcéreuse, raconte-t-il. L’étude était globalement négative, mais la condition de cinq personnes s’est améliorée. On s’est rendu compte que la matière fécale venait du même donneur… Ça, c’est intéressant ! Et ce donneur fait sans doute l’objet d’une analyse. Mais c’est complexe. Quand on transfère des selles, on ne peut pas savoir tout ce qu’on transfère ! »

L’intérêt grandissant pour cet organe « mal-aimé » qui attire de plus en plus de chercheurs aux quatre coins du monde fait des heureux. Le Dr Pierre Poitras est de ceux-là. « Ce bruit-là, je l’aime beaucoup, dit-il. Cet intérêt exprimé pour le système digestif est bénéfique pour nous, même si parfois, on s’éloigne de la science. Globalement, c’est très positif. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.