Point de vue Lucien Bouchard

Les jeunes à la rescousse !

Je ne rate jamais une occasion d’inciter les jeunes à s’intéresser à nos débats collectifs et même, pour ceux qui en ont la passion, à s’engager politiquement. Il importe en effet qu’un plus grand nombre de jeunes se préparent à intensifier la relève de la classe politique pour donner un nouvel élan au Québec.

Mais ce n’est pas le seul défi que lance à la jeune génération la construction de notre avenir. Notre redémarrage exige aussi des jeunes d’aujourd’hui qu’ils s’investissent à fond dans l’édification de nos assises économiques. Plus précisément, le Québec a un pressant besoin de renouveler sa cohorte d’entrepreneurs. C’est la combinaison de l’impulsion de l’État et du dynamisme du secteur privé qui a fait du Québec une société moderne.

Malheureusement, il se trouve qu’au moment où la contribution du secteur public est compromise par l’essoufflement financier du gouvernement québécois, l’entrée en scène de jeunes entrepreneurs semble s’approcher de la stagnation. On sait pourtant que nos succès économiques dépendront de la vigueur et de la qualité d’entrepreneurship des générations montantes. Il est d’ailleurs vivifiant de constater que l’audace anime encore quelques initiatives prometteuses. Par exemple, l’École d’entrepreneurship instaurée à Saint-Georges de Beauce a formé depuis 2008 un vigoureux réseau de créateurs de PME dans toutes les régions du Québec.

L’appel à l’épargne… manque à l’appel

Le lancement du projet beauceron est venu à point puisque, depuis la fin des années 90, le nombre d’entreprises québécoises qui arrivent à se qualifier pour lancer un premier appel public à l’épargne enregistre une diminution par rapport au reste du Canada.

Les données disponibles indiquent que ces premiers appels représentaient au Québec, durant la période 1998 à 2002, une proportion de 17,9 % du total de l’ensemble canadien. Les statistiques de 2003 à 2007 font voir que cette proportion était tombée à 10,8 %. De 2008 à 2013, une nouvelle décroissance la réduisait à 5,6 %. Le tableau n’est pas moins sombre si on compare les résultats en valeur monétaire, ce qui situe à 5,1 % la part québécoise.

Ces chiffres soulèvent pour le moins des interrogations inquiétantes sur le nombre de nouvelles entreprises créées chaque année au Québec. C’est à même cette masse critique que se recrutent les entreprises qui atteignent la maturité suffisante pour entrer dans le marché public de l’épargne. Ces appréhensions concernant la création insuffisante de nouvelles entreprises québécoises trouvent confirmation dans les statistiques citées par le président de la Banque Nationale, Louis Vachon, à l’occasion d’un discours qu’il prononçait, le 11 février dernier, à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. 

Il est vrai que notre performance s’est accrue d’année en année, mais elle pâlit en comparaison du reste du Canada. De 1998 à 2013, nous avons augmenté le nombre de nos nouvelles entreprises de 12 %, alors que l’ensemble des autres provinces avait augmenté les siennes de 20 % et l’Ontario, de 38 %.

Une productivité peu rassurante

Il serait rassurant de penser que ces diminutions de premiers appels publics s’expliquent par le fait que les entrepreneurs québécois ont trouvé d’autres sources de financement. Ce n’est pas vraiment le cas si on en juge à partir des plus récentes données statistiques disponibles jusqu’en 2011. À ce moment-là, les investissements privés au Québec en machines et matériel, mesurés par travailleur, s’élevaient à 5500 $ par rapport à 7600 $ pour l’ensemble canadien. Le gouvernement du Québec a d’ailleurs vu la nécessité d’une amélioration, si on en juge par le récent discours du budget qui annonce la mise en place de mesures « coup de poing » pour stimuler ces investissements.

Les données comparatives de productivité du travail ne sont pas de nature à nous rassurer. En 2012, à 54,96 $ par heure travaillée, notre niveau de productivité traînait encore de la patte par rapport à la moyenne canadienne qui était de 59,96 $. On trouvera peu de consolation du côté américain où la productivité s’établit à 72,62 $. Il s’ensuit que notre productivité du travail est de 7,7 % moins élevée que la moyenne canadienne et de 24,32 % de moins que celle des États-Unis. Ces chiffres indiquent que le Canada tout entier fait face à un grave problème, puisque les Américains sont nos principaux partenaires et concurrents. On peut bien tirer sur les messagers qui nous signalent ces statistiques bêtes et méchantes, mais on aurait bien tort de se convaincre qu’elles sont sans conséquence ou, pis encore, de se réfugier dans le déni.

À la vérité, la productivité, l’investissement et l’entrepreneurship sont les ingrédients indispensables d’une économie prospère. C’est la seule façon de donner à notre État la possibilité d’assumer sa mission économique aussi bien que sociale. Enfin, faut-il le rappeler, c’est le seul moyen d’inspirer à nos jeunes le désir et le courage de se tailler un avenir à la hauteur de leurs ambitions. Paradoxalement, dans une manière de cercle qui sera vertueux ou vicieux selon que l’on agit ou non, c’est du dynamisme entrepreneurial des jeunes que dépend la prospérité de notre société.

Investir dans la jeunesse

Même la menace que semble faire peser l’automatisation sur nos emplois manufacturiers peut être tournée à notre avantage. Elle offre des opportunités d’innovation et de création d’entreprises dans un secteur névralgique, tout en apportant une solution à nos lacunes en matière de productivité. D’où la nécessité de voir s’affirmer de nouveaux – et jeunes ! – entrepreneurs capables d’ouvrir de nouvelles fenêtres d’activités économiques et, partant, de créer des emplois innovateurs.

Ces jeunes, il faut les motiver par une valorisation de leur rôle, une éducation qui les formera en les préparant aux défis qu’ils devront relever. Ils doivent pouvoir aussi trouver en eux-mêmes le sens de la responsabilité personnelle, le goût de prendre des risques et de construire. On est loin ici de la recherche de prétextes, la désignation de boucs émissaires et le refuge dans la « précautionnite ».

Cette volonté d’entreprendre ne peut croître que dans le terreau d’une société qui valorise, encourage et soutient l’esprit d’entreprise.

Plus que jamais, il faut reconnaître à nos entrepreneurs le rôle indispensable de levain dans la pâte et de porteurs de notre avenir économique.

C’est Mozart qu’on assassine, écrivait Gilbert Cesbron en 1966, pour déplorer les ailes rognées de la jeunesse et son potentiel dissipé.

Au Québec, à côté de tous nos talents qui brillent dans les arts, c’est Joseph-Armand Bombardier et Steve Jobs qu’il faut aussi faire éclore.

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