Ordre des ingénieurs

« Une crise sans précédent »

L’Ordre des ingénieurs fait tout en son pouvoir pour sanctionner les professionnels qui ont trempé dans du financement politique illégal, de la fraude, de la collusion ou de la corruption, a assuré hier le président de l’organisme, Daniel Lebel, reconnaissant faire face à une « crise sans précédent ».

Or, malgré les nombreuses affaires douteuses révélées par les médias depuis 2009, à peine deux ingénieurs ont été punis par le conseil de discipline de l’Ordre jusqu’ici. Robert Fortin et Martin-Guy Pilote ont tous deux été radiés pour un an en janvier : le premier pour abus de confiance et le second pour fraude au moyen de fausses factures.

Près de 800 dossiers d’enquête sont actuellement ouverts à l’Ordre des ingénieurs. Quelque 350 d’entre eux concernent du financement politique illégal. Le hic, c’est que ces enquêtes sont actuellement en suspens en raison de la contestation par la firme Axor, devant le Tribunal des professions, de la compétence de l’Ordre en cette matière.

Hormis les cas de financement politique, aucun des 16 dossiers complétés actuellement devant le conseil de discipline ne concerne l’éthique.

« Le conseil d’administration [de l’Ordre] a donné les ressources au bureau du syndic pour faire ce qu’on a à faire et il y a des enquêtes qui vont aboutir prochainement », a déclaré M. Lebel en conférence de presse hier. Il a précisé qu’une cinquantaine d’enquêtes sont directement liées à des révélations faites à la commission Charbonneau.

Depuis le début des allégations sur l’industrie de la construction, en 2009, le nombre moyen de plaintes déposées à l’Ordre est passé de 80 à plus de 400 par année. Par conséquent, le nombre d’employés du bureau du syndic a presque triplé et s’établit aujourd’hui à une trentaine. Depuis un mois, le syndic est Chantal Michaud, un ancien d’Hydro-Québec et de Tetra Tech-BPR. L’Ordre est actuellement à la recherche d’un syndic adjoint.

En attendant que les enquêtes aboutissent, les ingénieurs qui ont admis avoir commis des entorses aux règles d’éthique devant la commission Charbonneau demeurent inscrits au tableau de l’Ordre, sauf s’ils s’en sont retirés volontairement.

Par contre, deux d’entre eux, Rosaire Sauriol (Dessau) et Pierre Lavallée (BPR), ont récemment démissionné du conseil d’administration de l’Association des ingénieurs-conseils du Québec, le lobby des firmes de génie.

Audits des firmes

L’Ordre des ingénieurs avait convoqué la presse hier pour annoncer un programme de vérification des pratiques commerciales des firmes de génie-conseil. Pour la première fois de son histoire, l’Ordre va donc au-delà de la surveillance des ingénieurs et s’invite chez les entreprises.

« Nous irons regarder les processus des firmes, leurs manières de faire des affaires, la façon dont elles établissent des contrats, a affirmé Daniel Lebel. Est-ce que tous leurs ingénieurs ont suivi la formation obligatoire ? Est-ce que leurs ingénieurs sont inscrits au tableau de l’Ordre ? Un ordre professionnel qui fait ça, ça ne s’est jamais vu. »

Les entreprises pourront ou non participer au programme, mais la pression sera évidemment forte sur elles. Dans d’autres provinces, la loi donne aux ordres le droit d’enquêter sur les firmes de génie, un pouvoir que l’Ordre des ingénieurs souhaite obtenir de Québec.

« En nous permettant d’auditer ça et d’en rendre compte publiquement, les firmes vont se donner une image d’intégrité dont elles ont besoin pour regagner la confiance du public », a fait remarquer André Rainville, directeur général de l’Ordre.

Rappelons qu’au début de l’année, l’Ordre a imposé à ses membres un examen d’éthique de deux heures et demie. Les ingénieurs avaient jusqu’au 15 mai pour le réussir. Selon l’Ordre, « plus de 90 % » d’entre eux y sont parvenus. Les autres auront au moins deux mois de plus pour se conformer. S’ils refusent de le faire, ils pourraient être radiés.

Fait intéressant, les ingénieurs peuvent reprendre l’examen autant de fois qu’ils le désirent. Après un échec, « tu le refais, et les questions se présentent dans un ordre différent », a expliqué M. Rainville, qui ne savait pas hier combien d’ingénieurs avaient dû s’y prendre à plus d’une fois pour obtenir la note de passage. « Je n’ai pas cherché à savoir ça, a-t-il dit. L’important, c’est que les gens l’aient réussi. »

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