Opinion

Dépassée, l’écriture manuelle ?

Mon fils de quatre ans fréquente Passe-Partout, un programme d’éducation préscolaire mis en place par le gouvernement québécois. Lors d’un atelier, quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que des débats avaient lieu dans les écoles du Québec et ailleurs dans le monde, sur la nécessité ou non de préserver l’enseignement de l’écriture cursive, aussi appelée « lettres attachées », voire même de l’écriture manuelle.

Certains souhaitent conserver l’écriture « script » (caractère d’imprimerie), plus près de celle des claviers d’ordinateurs ; de surcroît, il serait plus pertinent d’enseigner le maniement des claviers, plutôt que l’écriture manuelle.

Aux États-Unis, 45 états ont fait le choix de n’enseigner que l’écriture « script » ; et passé la première classe, elle ne sera plus obligatoire. Pourquoi ? Parce que les jeunes n’ont plus besoin de savoir écrire manuellement, tout se passe sur le clavier de l’ordinateur, ou sur le clavier « qwerty ».

La preuve ? À quand remonte votre dernière lettre écrite à la main ? En outre, chez nos voisins du sud, il semble que la pression des fabricants de logiciels et autres technologies informatiques met beaucoup d’efforts en ce sens. Donc, pourquoi continuer à enseigner l’écriture cursive, difficile à apprendre, très différente de l’écriture « script » ? Et pourquoi enseigner l’écriture manuelle, dans ce monde « full techno », où le téléphone intelligent est devenu un prolongement de la main des jeunes générations ?

Pourtant, de plus en plus d’études sérieuses s’entendent sur le fait que l’écriture manuelle semble « indispensable pour développer une compétence qui ne l’est pas moins : la lecture (1). »

Des expériences faites auprès d’enfants de la maternelle et d’adultes en apprentissage d’une langue étrangère sont sans équivoque : « Les lettres apprises à la main étaient mieux reconnues que celles apprises au clavier ». Conclusion : « si l’enfant n’a pas appris à écrire à la main (…), on peut alors imaginer que face à des dizaines de mots, voire des pages entières de texte, il rencontre des difficultés (2). »

De leur côté, Marie-France Morin (Université de Sherbrooke) et Natalie Lavoie (Université du Québec à Rimouski) ont divisé des élèves de 2e année en 3 groupes : un 1er apprenant l’écriture cursive ; un second l’écriture script ; un 3e les 2 types d’écriture. Résultats : « les élèves n’ayant appris que les lettres attachées sont avantagés. Ils ont notamment de meilleurs résultats en orthographe et en syntaxe. »

Laura Dinehart, de l’Université internationale de Floride arrive à la conclusion qu’il « y a une forte corrélation entre la maîtrise précoce de l’écriture et la réussite scolaire (3). » Elle affirme aussi que « la maîtrise de la calligraphie semble avoir un effet vraiment sans équivalent sur le développement de l’enfant. »

Difficile pour l’instant de vérifier les impacts réels de ces changements. Mais faut-il attendre 20 ans, une fois les conséquences bien réelles ? Ne voit-on pas déjà sur les bancs d’école certaines lacunes en écriture et en lecture ? Le principe de précaution, ça dit quelque chose à quelqu’un ?

Comme enseignant, je continuerai donc à faire écrire manuellement mes étudiants, malgré leurs soupirs, et encouragerai mes enfants dans leur apprentissage d’une écriture manuelle, et cursive.

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1– Marie-Catherine MÉRAT, « Les élèves doivent garder la main », Science & vie, no. 1151, août 2013, p.69.

2 – Ibid., p.70.

3 – Lorraine MILLOT, « Aux États-Unis, l’écriture sur la touche », Libération [en ligne], http : //liberation.fr/monde/2012/09/24 (page consultée le 29 janvier 2014)

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