Chronique

La banque des pauvres

Il n’y a pas de pigeons ni même de parc autour de Pigeon Park Savings. Cette banque unique en son genre tire son nom d’un petit square de Vancouver où l’on retrouve un totem, quelques bancs publics et probablement plus de seringues que de pigeons.

Pigeon Park Savings est une institution financière comme je n’en avais jamais vu. C’est la banque de ceux qui n’ont pas un sou. Son vaste local est en quelque sorte le « Ground Zero » du Downtown Eastside, quartier tristement célèbre pour son épidémie d’opioïdes comme le fentanyl.

Juste à côté de la succursale, un groupe d’itinérants installés sur un terrain vacant tente de gagner quelques dollars en vendant de la pacotille. Un peu plus loin se trouve un centre d’intervention en plein air mis sur pied pour venir en aide rapidement aux personnes qui font une surdose.

Décidément, Pigeon Park Savings n’a vraiment pas l’air d’une institution financière traditionnelle. Les clients entrent et sortent à leur guise, avec leur chien ou leur chariot d’épicerie. Peu importe. Ils sont les bienvenus.

« On leur offre des services financiers qui les rejoignent là où ils sont, dans le respect, en reconnaissant qu’ils ne parviendront jamais à accumuler des actifs et qu’ils ne vont jamais emprunter d’argent », m’explique Catherine Ludgate, gestionnaire de microfinancement pour la coopérative Vancity, en arpentant les rues du quartier défavorisé.

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En 2004, il n’y avait plus aucune banque dans ce secteur difficile. C’est ce qui a poussé Vancity à mettre au monde Pigeon Park Savings en collaboration avec Portland Hotel Society (PHS) Community Services, un organisme très actif dans le logement abordable qui est aussi l’instigateur du centre d’injection supervisée InSite, presque en face de Pigeon Park Savings.

Ironiquement, la coopérative s’est installée dans une ancienne succursale de la Banque Scotia occupée depuis fort longtemps par un commerce de prêt sur gages. « Il y avait de la marchandise jusqu’au plafond », se souvient Kevin Grant, directeur de Pigeon Park Savings.

À cette époque, les personnes démunies étaient forcées d’encaisser leurs chèques d’aide sociale auprès du propriétaire de leur logement ou d’un commerce d’encaissement de chèques. Un pourcentage important de leurs maigres revenus s’envolait en frais.

Aujourd’hui, Pigeon Park Savings offre à ses quelque 4000 clients une solution de rechange aux vautours de la détresse financière.

Le jour des chèques du gouvernement, près d’un millier de personnes se ruent dans la succursale où s’affairent une dizaine de caissiers.

« On sert plus de clients à l’heure que certaines succursales normales en servent par jour ! »

— Kevin Grant

Pigeon Park Savings n’a pas d’équivalent à Montréal. Mais en 2009, la Maison du Père a conclu une entente avec les caisses populaires pour permettre aux gens qui vivent dans la rue d’encaisser leurs chèques sans se faire rouler. Tous les premiers du mois, deux employés de Desjardins et un agent de sécurité s’installent dans un local du refuge pour sans-abri.

Chaque mois, le service permet à environ 230 personnes d’encaisser leur chèque du gouvernement. « La plupart n’ont pas de compte de banque et autrement ils devraient encaisser leur chèque à la taverne ou dans un commerce d’encaissement qui garde de 10 à 20 % de leur aide sociale », déplore la porte-parole de la Maison du Père, Manon Dubois.

L’organisme essaie de les encourager à ouvrir un compte bancaire pour faciliter le versement des paiements gouvernementaux et des crédits d’impôt. Mais beaucoup n’y arrivent pas.

C’est que les banques traditionnelles sont réticentes à ouvrir des comptes bancaires à une clientèle marginalisée. Elles ont peur de la fraude et elles n’apprécient pas la faune de prêteurs à taux usuraires qui tournent autour des clients démunis lorsqu’ils viennent encaisser leur chèque.

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C’est ici que Pigeon Park Savings se différencie. La coopérative offre des comptes de banque à frais modiques assortis d’une carte de guichet automatique. Le service coûte 5 $ par mois et permet d’effectuer des transactions à volonté. Cent fois par mois, trois fois par jour. C’est le même prix.

Tous les employés qui travaillent dans la succursale sont des employés de Portland Hotel Society, qui connaissent la clientèle défavorisée depuis des années, voire des décennies. « Même si c’est un peu triste à dire, il y a beaucoup de gens que je connais depuis le début des années 90 », affirme M. Grant.

Comme les employés ont une relation privilégiée avec les membres, ils peuvent les aider bien au-delà des services bancaires. Souvent, on est plus dans les services sociaux…

Par exemple, un homme est arrivé en colère à la succursale, récemment. Son compte avait été gelé par une agence gouvernementale. Il n’avait reçu aucune information par la poste et tout à coup, il ne pouvait plus toucher l’argent qu’il avait dans son compte bancaire.

En furie, il était prêt à s’en aller sans rien faire. « On l’a raisonné. On lui a dit qu’il devait contacter l’agence. J’ai appelé avec lui. Et il s’est avéré qu’ils avaient le mauvais gars », raconte M. Grant.

Simple erreur sur la personne.

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