Portfolio Travailleurs immigrants

Former les immigrants

Sébastien Guyon ne fait aucune discrimination. Pour le directeur des ressources humaines chez Meubles Concordia, un travailleur issu de l’immigration a la même valeur qu’un Québécois « de souche ». Non seulement se fait-il un plaisir d’embaucher les immigrants qui ont du cœur au ventre, mais en plus, il les forme, les guide dans leur apprentissage du français et les aide même à dénicher un diplôme d’études secondaires, voire de niveau collégial.

« Nous sommes une entreprise manufacturière qui cherche des moyens innovants d'attirer de la main-d’œuvre et mobiliser son personnel, explique Sébastien Guyon. Ma solution pour garder mes gens, c’est de leur offrir des formations qui leur serviront toute leur vie. »

Par exemple, sept contremaîtres de chez Meubles Concordia (parmi lesquels près de la moitié sont des immigrants) viennent de recevoir une Attestation d’études collégiales (AEC). Fait étonnant : la formation des contremaîtres s’est faite en quelques semaines plutôt que pendant quelques années.

« J’ai fait valoir leurs compétences et j’ai misé sur la reconnaissance des acquis. Et le plus beau, c’est que nous avons pu profiter de programmes offerts par le gouvernement », révèle Sébastien Guyon.

Dans le cas de David Garza, les choses n’ont pas été aussi expéditives. Le Guatémaltèque de 33 ans, qui est arrivé au Canada après avoir épousé une Québécoise (dont il est aujourd’hui séparé), savait à peine parler le français et ne connaissait rien au secteur manufacturier lorsqu’il a été embauché chez Meubles Concordia en 2010.

Ne reculant devant rien, Sébastien Guyon a pris M. Garza sous son aile. Il l’a guidé vers des cours de francisation et l’a inscrit à un programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT) parrainé par Emploi-Québec. Résultat, après un an et demi d’efforts intensifs, le Guatémaltèque d’origine a décroché l’équivalent d’un diplôme d’études professionnelles (DEP). Il est aujourd’hui opérateur de machinerie industrielle.

« Plus mon français s’améliorait, plus le programme de formation était facile. Je suis conscient qu’il y a maintenant beaucoup plus de portes qui sont ouvertes pour moi. Dieu m’a beaucoup aidé », affirme, timidement, David Garza.

Sur les 60 employés de Meubles Concordia, un fabricant de mobiliers de chambres à coucher et d’unités murales d’Anjou, 40 % sont des immigrants. Les PME québécoises ont d’ailleurs l’embarras du choix. Le taux de chômage dans la population immigrante se situe entre 11 % et 12 %, contre 7,1 % dans la population en général.

Former des travailleurs qualifiés

Plutôt que de se morfondre en clamant que la Belle Province manque de travailleurs qualifiés, Sébastien Guyon a saisi la balle au bond. Le jeune cadre, qui vient de terminer un MBA et qui entreprendra sous peu des études de troisième cycle, soutient que la formation en milieu de travail est LA solution au problème de manque de main-d’œuvre qualifiée.

« Les PME doivent faire plus d’efforts pour former leur personnel. Il faut repositionner les entreprises par rapport au système d’éducation. Il faut faire une passerelle entre les deux. Il doit y avoir une meilleure adéquation. La meilleure façon d’intégrer les immigrants, c’est de leur donner un travail et de les former par la même occasion. »

Sébastien Guyon est à ce point persuadé que la combinaison « école/milieu de travail » est une solution gagnante qu’il songe à fonder sa propre maison d’enseignement.

« Je quitte Meubles Concordia d’ici quelques semaines, annonce-t-il. Mais il est déjà convenu que chez mon prochain employeur, j’irai chercher auprès du ministère de l’Éducation les attestations requises pour développer mes propres programmes de formation. Je fonderai donc une école privée. Est-ce que ce sera de niveau secondaire ou collégial, on verra bien. »

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Une manne sous-estimée

La population immigrante représente un bassin de main-d’œuvre que les entreprises ont tort de sous-estimer. Il s’agit plutôt d’une manne dont les employeurs devraient tirer avantage, soutient Marie-France Martin, économiste au Conseil emploi métropole (CEM).

D’ici 2016, 315 000 postes devront être pourvus dans la grande région de Montréal, explique Mme Martin. Du lot, 68 % le seront en raison de départs à la retraite et 32 % grâce à la croissance de l’emploi.

« Nous estimons que 50 000 de ces postes devraient être logiquement occupés par des travailleurs immigrants, soutient Mme Martin. C’est d’ailleurs ce qui nous fait agir actuellement. Les employeurs ne sont pas tout à fait conscients des avantages que les immigrants peuvent leur apporter. »

Pour les neuf premiers mois de 2013, le taux de chômage chez les immigrants installés au Québec depuis moins de cinq ans était de 14,6 %. Il s’agit d’une nette amélioration par rapport aux 20,5 % enregistrés durant la même période en 2012. « C’est encourageant, mais ça démontre qu’il y a encore beaucoup de travail à faire », constate l’économiste du Conseil emploi métropole.

— Stéphane Champagne, collaboration spéciale

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