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Le député de Québec solidaire Amir Khadir a annoncé hier qu’il quitterait son poste l’automne prochain.

Chronique

Une autre politique est possible

Amir Khadir n’a pas seulement fait entendre une voix de gauche à l’Assemblée nationale. Il a donné à lui seul de la dignité au métier de faiseur de lois.

Ses détracteurs dressent déjà le top 10 de ses outrances, et on a l’embarras du choix dans la panoplie des anecdotes politiques. Coups de gueule intempestifs, accusations par association, déclarations douteuses sur le 11 septembre 2001, etc.

Mais qui dénonce les silences et les insignifiances de tant d’autres ?

Amir Khadir a été un député formidable, combatif, informé, efficace et cohérent.

Songez un peu au parcours de cet homme, né en Iran en 1961, arrivé au Québec à 10 ans, et qui cite du Gaston Miron ou du Gilles Vigneault à faire rougir bien des nationalistes.

Physicien, médecin, sa vie tout entière a été sous le signe de l’engagement politique.

Qui donnait la moindre chance à cet intellectuel radical quand il s’est présenté aux élections générales de 2003 sous la bannière de l’Union des forces progressistes ?

L’UFP est née de la fusion de partis de la gauche radicale. Il est surtout né du constat que la division des forces progressistes en une multitude de micropartis condamnait ces idées à la marginalisation.

Avec 1 % des voix au Québec, disons que le succès n’était pas retentissant. Khadir obtenait tout de même 18 % dans Mercier. L’UFP a fusionné avec Option citoyenne, le parti fondé par Françoise David, pour devenir Québec solidaire. Élections de 2007 : il est à nouveau défait dans Mercier, mais avec 29 % des voix. Contre toute attente, c’est une libérale, Nathalie Rochefort, qui est élue – c’est alors que le Parti québécois a commencé à dénoncer la « division du vote souverainiste » au profit du PLQ.

Le gouvernement Charest, minoritaire, déclenche des élections en 2008, et cette fois, Amir Khadir est élu premier député de Québec solidaire. Corps étranger dans un Parlement aux contours politiques bien connus, ne s’écartant pas trop d’un centre de gravité idéologique. Avec la montée de l’Action démocratique du Québec, puis de la Coalition avenir Québec, il a symbolisé l’éclatement de ce qui semblait la seule ligne de démarcation de la politique québécoise : fédéralistes contre souverainistes.

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Comme député, il a fait, avec peu de moyens, un travail de fond dans plusieurs dossiers. C’est lui qui a mis au jour les liens entre des professionnels et le financement des partis politiques. Qui d’autre pouvait le faire ? Le sujet était tabou, et les trois autres partis avaient joué « la game » du financement.

On l’a vu intervenir pour dénoncer le gaspillage du système d’assurance médicaments et les abus des sociétés pharmaceutiques.

Lui, le présumé anticapitaliste, s’est retrouvé en conférence de presse avec l’homme d’affaires Peter Simons pour exiger une équité fiscale au moyen de la taxation des géants du web.

Avec Françoise David, deuxième élue du parti, il a descendu en flammes la « charte des valeurs » de Bernard Drainville et du PQ.

Avant d’être souverainiste, ou plutôt en même temps, il était aux côtés des négligés, des immigrants, des exclus.

On l’a cependant vu s’allier avec des élus des autres partis sur toutes sortes d’enjeux locaux.

Chaque fois, il était documenté, il avait fait ses devoirs. Bref, ce fut un parlementaire exemplaire.

Il a choqué en dénonçant le « parasitisme » de la monarchie britannique en pleine visite princière au Canada. Il avait quand même raison !

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Il est toujours plus facile d’être vertueux quand on n’a pas à vivre avec les vicissitudes du pouvoir. Avec l’obligation d’arbitrer des intérêts opposés. De faire des compromis. Et quand on n’est pas destiné au pouvoir dans un avenir prévisible, on peut bien promettre mer et monde. On a la sympathie des médias, on est du côté de la générosité. Sans doute.

Mais à l’inverse, à force de n’être jamais exposé à des idées un peu radicales, la démocratie ratatine. À force de faux débats sur des points de détail, à force de discours faussement discordants dans un Parlement finalement consensuel, la politique devient une sorte de théâtre. Un théâtre où l’on s’échange les rôles – pouvoir, opposition, pouvoir, opposition – avec la même scénographie, la même mise en scène.

Je n’essaie pas de dire que sur les 125 députés, seuls les radicaux ont des « principes » et un « engagement ». Je dis que ce discours et cette action radicale, ils étaient et ils sont nécessaires.

Ce n’est pas non plus rabaisser les autres que de constater l’évidence : d’Amir Khadir, on pourra dire qu’il a tracé un sillon avec des principes ancrés profondément dans son éthique personnelle. On pourra dire qu’il n’en a pas dévié, ni par ambition personnelle, ni par goût du pouvoir, ni par tentation de plaire au plus grand nombre.

L’intégrité en politique, ce n’est pas seulement l’absence de corruption. C’est d’incarner et de vivre une certaine éthique politique, même quand tous les sondages vous promettent un échec.

Au final, il a bien mérité de la patrie pour avoir démontré ceci, qui était audacieux il y a 10 ou 12 ans : une autre politique est possible.

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