Science et environnement
Les abeilles menacées par un pesticide omniprésent
la presse
Il y a quelque chose qui cloche dans les ruches de Steve Martineau au printemps. Plus précisément au moment où les agriculteurs sèment le maïs et le soya dans les champs s’étendant à perte de vue autour de sa miellerie de Saint-Marc-sur-Richelieu, en Montérégie.
« Il y a une reine qui a arrêté de pondre pendant sept jours, dit-il en montrant une de ses 250 ruches. Ce n’est pas normal. L’an dernier aussi, on a eu ça. »
Devant plusieurs de ses ruches, un carré de tissu est tendu. Un linceul pour des ouvrières qui meurent mystérieusement.
« Dans une ruche normale, quand une abeille meurt, les autres la transportent le plus loin possible, dit M. Martineau. C’est pour éviter d’attirer des prédateurs. Des abeilles qui agonisent comme ça, à un pied de leur ruche, incapables de trouver l’entrée, c’est pas normal. »
« Il y a beaucoup d’abeilles qui perdent leur sens d’orientation, dit-il en montrant un insecte qui tourne en rond sur le tissu. Et les abeilles les plus affectées ne reviennent même pas ici, elles meurent dans le champ. »
Tous les deux jours, Olivier Samson-Robert, étudiant à la maîtrise de l’Université Laval, vient compter les corps morts et les emporte pour analyse dans le cadre d’un projet de recherche financé par le ministère de l’Agriculture.
L’étudiant est sur la piste d’un suspect : une famille d’insecticides appelée néonicotinoïdes. Ils sont employés comme enrobage des semences de maïs et de soya. Ils se répandent dans la plante tout au long de sa vie.
Les composés les plus employés s’appellent clothiamidine et thiamétoxane. Depuis quelques années, la quasi-totalité des semences de maïs vendues au Québec et plus de la moitié des semences de soya sont enrobées avec ces produits.
Et cela se vérifie dans les champs où butinent les abeilles et où elles s’abreuvent. « L’an dernier tous les échantillons d’eau contenaient de la clothiamidine et 60 % contenaient de la thiamétoxane, dit M. Samson-Robert. Et on parlait de taux à 100 fois la dose mortelle. »
Comment ces poisons ont été autorisés alors qu’ils menacent l’insecte le plus utile à l’agriculture ? Les fabricants disaient que les abeilles ne butinent pas le maïs et qu’elles ne seraient donc pas exposées.
Mais ils n’avaient pas prévu d’autres moyens d’exposition.
« Il y a des poussières de néonécotinoïdes qui sont dégagées avec les semoirs pneumatiques, affirme Valérie Fournier, professeure et chercheuse à l’Université Laval. La poussière se dépose sur d’autres plantes comme les pissenlits, qui sont très importants pour les abeilles au printemps. La poussière se dépose aussi sur l’eau, où les abeilles s’abreuvent. Au printemps, c’est la première source d’exposition. »
La Fédération des apiculteurs du Québec sonne l’alarme. En janvier, sa directrice générale Christine Jean a écrit au ministre de l’Agriculture, François Gendron.
« Il y a urgence. L’important est d’en arriver à une réduction rapide et très importante de l’usage des néonicotinoïdes. Votre ministère dispose de plusieurs moyens pour intervenir et obtenir rapidement les résultats nécessaires. Ce sont les résultats qui comptent », a affirmé M
Jean, dans une lettre dont a obtenu copieLe ministre de l’Agriculture n’a pas voulu commenter le dossier la semaine dernière, même si la Fédération des apiculteurs qualifie la situation d’urgente. « Depuis l’envoi de cette lettre, nous avons eu des échanges avec eux, a indiqué par courriel l’attaché de presse du ministre, Maxime Couture. Nous travaillons actuellement à trouver des solutions. »
Depuis quelques années, il est quasiment impossible de se procurer des semences non enrobées. Monia Grenier possède une ferme à Wotton, en Estrie. Elle est sensible au problème des abeilles. « On a une ferme laitière, on cultive du soya et du maïs, dit-elle. Il y a des pesticides qui ne sont pas bons pour l’environnement et les fournisseurs de grains, ça leur passe 10 pieds par dessus la tête. Ils disent : ben voyons donc ce n’est pas si grave que ça. »
« Le manque de choix, on le vit depuis 5 ans », dit-elle.
Depuis l’an dernier, après une intervention des apiculteurs, il est possible de commander des semences sans insecticide. Mais, dit M
Grenier, « il faut les commander un an d’avance, alors qu’on ne sait pas ce qu’on va semer l’an prochain ».Le gouvernement du Québec se défend de rester immobile dans ce dossier. Michel Lacroix, directeur à la direction de la phytoprotection au Ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation (MAPAQ) ne nie pas le problème. « Il y a eu des études scientifiques qui ont montré que les néonicotinoïdes peuvent être néfastes pour les abeilles, dit-il. On a déjà une politique pour réduire l’emploi des pesticides. On a publié une brochure récemment. Et on fait des pressions pour rendre disponibles des semences non enrobées. »
Mais le principe même de l’enrobage des semences va à l’encontre d’un emploi modéré des pesticides, dit Steve Martineau.
« Ce qui est terrible, c’est que le produit n’est pas si pire que ça, dit-il. Le problème, c’est qu’ils en mettent partout, alors qu’ils n’en ont pas besoin partout. »