Friperies

Acheter usagé, de plus en plus populaire

Votre fils a passé le dernier réveillon du jour de l’An vêtu d’une chemise et d’un pantalon payés 2 $ chacun, dans une friperie. Votre fille ? Elle portait une ravissante robe à crinoline, achetée 4 $ dans un bazar de cour d’école.

Rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls : dans la dernière année, 74 % des Québécois ont acheté au moins un produit d’occasion, selon un sondage mené à l’automne pour l’Observatoire de la consommation responsable de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM.

« La consommation de produits usagés est un phénomène en très forte progression, dit Fabien Durif, professeur de marketing à l’ESG et directeur de l’Observatoire. Ça s’explique par la crise économique, le désir de mieux consommer, mais aussi par l’aspect environnemental, le souci de moins polluer. L’arrivée des plateformes d’échange web a aussi permis une nouvelle croissance de ce marché. »

Josée Boisvert, mère de deux fillettes, a récemment passé un week-end au Vermont pour… écumer les friperies. « J’aime dénicher la bonne affaire qui me fera dire : c’est beau et je ne l’ai pas payée cher », explique-t-elle. Il y a trois ans, sa passion pour l’usagé s’est transformée en gagne-pain : elle a repris la friperie L’Enfant d’O, de Laval. « Comme dit mon conjoint : j’aime tellement les friperies que j’en ai acheté une ! », rigole-t-elle.

Il n’y a vraiment plus de gêne, aujourd’hui, à avouer qu’on se procure de l’usagé. « À peine 11 % des gens disent qu’ils n’ont pas envie de passer pour une personne “cheap” en consommant des produits d’occasion », note M. Durif.

VOLE-T-ON LES MOINS NANTIS ?

Faut-il néanmoins s’abstenir de ratisser les friperies si on gagne bien sa vie, histoire de laisser les moins nantis profiter des aubaines ? Pas selon Pierre Legault, directeur général des Fripe-Prix Renaissance, où les vêtements pour enfants sont vendus entre 2 $ et 4 $ le morceau. « Nos magasins sont ouverts à tous, tranche-t-il. Notre mission première, c’est de ramener des gens sur le marché du travail, en les faisant notamment travailler dans les Fripe-Prix. » Or, pour qu’ils aient du boulot, il faut des clients.

Généralement, les Québécois ont moins de mal à acheter un vélo ou un livre d’occasion que des vêtements. « Plus il y a une proximité physique du produit avec l’ancien propriétaire, plus les gens ressentent un risque », explique M. Durif.

Mais bien des réticences disparaissent lorsqu’il s’agit d’habits pour les tout-petits. « Quand on a soi-même des enfants, on sait que beaucoup de choses sont peu portées », observe Josie Lo Dico, qui n’hésite pas à vendre les vêtements de ses deux filles.

EST-CE QUE ÇA VAUT LA PEINE ?

Reste à trouver pourquoi on irait fouiner dans l’usagé quand on peut trouver une robe Joe Fresh neuve en solde à 4,70 $ en faisant son épicerie. « Dans une friperie, j’ai vu des chandails à 7 $ chacun, alors que je viens d’acheter des chandails Gap à 6 $ flambants neufs, témoigne une mère sur le forum dlvdm.com. Je trouve ça décourageant. Je veux bien recycler et acheter usagé, mais pas au prix du neuf. »

Règle générale, acheter d’occasion vaut le coût si on fréquente une friperie qui reçoit des dons de vêtements (au lieu de les acheter à des particuliers), comme Renaissance ou la boutique des Petits frères, sur le Plateau-Mont-Royal. Autre bonne affaire : chercher les marques haut de gamme comme Souris Mini ou Deux par deux, dont les vêtements sont vendus très chers neufs, mais sont abordables usagés, même dans de jolies friperies aux allures de boutique.

« Avant, l’impact de Target et de Joe Fresh n’était pas présent, constate Anick Berthiaume, propriétaire de la belle boutique Culotté !, à Laval, depuis 14 ans. Aujourd’hui, on doit travailler plus fort pour faire la même somme. » Mme Berthiaume a dû s’ajuster : au départ, Culotté ne vendait que de l’usagé ; c’est maintenant 25 % de la marchandise, le reste est neuf.

SE DONNER BONNE CONSCIENCE

La friperie Peek-a-Boo, à Montréal, refuse quant à elle d’être comparée à l’Aubainerie et à Joe Fresh. « Peek-A-Boo engage quatre employés, fait valoir Edith Ronai, sa copropriétaire. Nous sommes ouverts sept jours sur sept. Tout ce qui est vendu en boutique est préalablement acheté, ce qui implique un travail colossal. Il serait utopique de croire qu’une petite boutique au cœur du Plateau, à Montréal, vendant des produits recyclés, serait motivée par le but premier de faire des économies. »

Quelles sont les autres motivations des clients, si ce n’est d’épargner ? « Acheter des produits d’occasion donne bonne conscience, explique M. Durif. Vous avez l’impression d’être quelqu’un qui agit pour le bien de la société, en donnant une seconde vie aux produits. »

« Tu as beau ne pas payer cher en allant à l’Aubainerie, tu reconsommes, fait valoir Mélanie Piché, propriétaire de la friperie La Boîte aux trésors, dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Il faut changer la mentalité des plus vieux, mais les jeunes générations le savent. »

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