Opinions

Ces femmes qui font peur aux féministes

Neutralité religieuse de l’État et égalité homme-femme sont les deux grands principes mis de l’avant par le gouvernement pour articuler son projet de Charte des valeurs québécoises. Au nom de ces deux principes faisant l’objet d’un large consensus dans la société québécoise, on propose une mesure qui y contrevient carrément. Je ne m’attarderai qu’à l’interdiction du port de signes religieux « ostentatoires » pour le personnel de l’État, car c’est la proposition qui fait déferler les passions. Les autres propositions, bien que superfétatoires, car elles ne font que reprendre dans une large mesure l’état actuel du droit, ne causent pas les mêmes problèmes.

Au-delà du langage apparemment neutre, l’interdiction de signes religieux vise surtout le foulard islamique porté par la femme. Bien entendu, les autres signes religieux « ostentatoires » comme la kippa juive (à ne pas confondre avec le kirpan qui lui n’est pas « ostentatoire »), le turban sikh ou la croix chrétienne surdimensionnée, écoperont aussi en raison de l’aversion que suscite le foulard islamique chez certains. Quelles sont les motivations profondes d’un gouvernement – et d’une partie de la population dans sa foulée – , qui insiste à tout prix pour assujettir à sa volonté une catégorie bien précise de travailleuses : les éducatrices en garderie ? Pourquoi cet acharnement contre des femmes dont le travail consiste à prendre soin des tout-petits, une tâche auparavant dévolue aux mères ?

En tant qu’avocate familialiste, je n’y vois aucun hasard. Les femmes qui ont l’outrecuidance de vouloir être mères à plein temps le font à leurs risques et périls. Bien que les mères conjointes de fait obtiendront peut-être certains droits si le gouvernement suit les recommandations de son Comité consultatif sur le droit de la famille, l’ensemble des mères continuera à supporter le désavantage économique que représente le soin des enfants, notamment en raison de l’insuffisance des barèmes québécois de pension alimentaire pour enfants.

Le mépris à peine voilé que l’on manifeste aux mères qui sacrifient leur indépendance économique pour leur famille se transpose vers les femmes qui se substituent à elles. Les éducatrices de la petite enfance constituent un groupe de travailleuses dont la vulnérabilité a été reconnue par les tribunaux. Elles ont dû lutter contre les préjugés afin d’obtenir une rémunération et des conditions de travail moins injustes.

Aujourd’hui, le gouvernement Marois s’en prend encore à ces travailleuses, déterminé à leur imposer de retirer ce foulard que l’on ne saurait voir. Pas étonnant, car ces femmes symbolisent tout ce qui fait peur à certaines féministes : le pouvoir de la religion, du mariage, de la maternité. Une peur enracinée dans un passé bien réel et pas si lointain, mais révolu tout de même.

Qu’elles se rassurent : le féminisme est bien ancré à présent et les Québécoises d’aujourd’hui, toutes origines confondues, ne replongeront pas dans la grande noirceur. Après avoir été opprimées si longtemps par les hommes, la dernière chose dont les femmes musulmanes ou athées, mères au foyer ou PDG ont besoin est de se sentir rejetées parce qu’elles ne se conforment pas aux attentes des autres femmes.

Enfin, la neutralité implique l’absence de parti pris. Les expressions de malaise, et parfois même de haine, à l’égard de l’appartenance religieuse d’une personne, n’ont rien de neutres. Interdire le port de signes religieux ostentatoires véhicule un message de réprobation envers le fait qu’une personne affiche une croyance religieuse quelconque, exprimant une préférence pour l’absence de religion qui bafoue le principe même de la neutralité religieuse.

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