ROBERT LALONDE C’est le cœur qui meurt en dernier

Le dernier mot

C’est le cœur qui meurt en dernier

Robert Lalonde

Boréal, 168 pages

C’est un portrait de mère original que nous propose Robert Lalonde dans ce récit intitulé C’est le cœur qui meurt en dernier. Une expression de sa mère, avec qui il n’a jamais eu le dernier mot, dans la vie comme dans la fiction. Entretien avec un fils lucide.

Qu’on l’adore ou qu’on la déteste, qu’on la pleure ou qu’elle nous ait fait pleurer, la mère est un sujet inépuisable de la littérature. Robert Lalonde a souvent parlé de son père dans ses romans. Cette fois, il donne la parole à sa mère. Presque toute la parole. C’est le cœur qui meurt en dernier est écrit sous la forme de dialogues dans lesquels le fils n’arrive pas à placer un mot devant cette mère qui prend toute la place. Il lui aura fallu presque 40 ans pour trouver l’angle qui allait lui permettre d’aborder le sujet sans faire dans le règlement de comptes. « J’ai de la difficulté avec les romans qui remettent en scène le passé en attribuant les torts et les vertus. Moi, je veux voir, je veux entendre. »

Et dans ce roman, on n’entend qu’elle, jusqu’à son dernier souffle. Elle a quelque chose de monstrueux, de terrible, cette femme qui enferme son entourage dans son insatisfaction chronique. « Ma mère était une espèce de Joan Crawford dont le film n’a pas été tourné, qui était prise elle-même avec l’impression constante qu’elle menait une vie qui n’était pas faite pour elle, décrit Robert Lalonde. Ce n’était pas uniquement son cas à elle, beaucoup de femmes de cette génération ont vécu comme ça. »

Robert Lalonde sourit. Parfois, il rigole doucement à certains souvenirs. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il est en paix avec sa mère et son passé, sinon, il n’aurait pas pu écrire ce récit qui lui a donné beaucoup de plaisir. Il estime avoir eu la chance de faire le tour d’à peu près toutes les questions avec elle, puisqu’elle est morte à 94 ans. Cette femme, qui carbure à la peur, au pessimisme, qui râle tout le temps, dans un langage coloré et toujours exagéré, il la trouve drôle, en fait. « Le prodige de ma relation avec elle, c’est qu’elle n’est pas disparue tôt. Elle avait beaucoup d’ironie vers la fin, tout en étant impitoyable sur plein de choses. Elle était drôle, démesurée, elle jouait un rôle de composition remarquable. En même temps, je trouvais ça étrange et inattendu, cette résilience, cette santé dans cette récrimination où elle était. »

L’image de la reine ou de la princesse déchue traverse le roman, et on lui demande ce que cela fait à un enfant de grandir avec cette idée d’avoir pratiquement causé la perte de sa mère. « On développe l’impression que, si on n’avait pas été là, elle aurait pu avoir une autre vie. C’est une affaire que je partage avec beaucoup d’hommes de mon âge. Ce qui est fascinant, c’est la lucidité qu’elle avait sur elle-même. On ne pouvait rien lui révéler, elle répondait : “Je l’sais.” On ne pouvait la découdre nulle part, elle tenait le fil de son existence de victime parfaitement. » Tout de même, se faire dire à répétition par sa mère qu’elle n’était pas faite pour être mariée, qu’elle n’était pas faite pour avoir des enfants, c’est difficile, non ? « C’est dur, oui. Mais c’était vrai. »

LE REFUS DU CHAGRIN

Robert Lalonde n’est pas dupe de son héritage trouble, entre sa mère insatisfaite et son père qui a eu envers lui des gestes sexuels déplacés. Cela est évoqué dans un moment saisissant du roman, où la mère, sous médication, laisse entendre qu’« elle savait ». Il n’a jamais eu peur d’affronter la réalité. « Tout aurait pu m’abattre, dit-il. J’ai réussi à garder ce qu’il y avait de bon. Je crois que j’ai admis le plus dur très jeune et décidé que ça ne pouvait pas me définir. J’ai trouvé des solutions créatives à des choses qui auraient pu m’amener dans des abîmes considérables. Wajdi Mouawad m’a dit un jour que j’avais l’intelligence des gens qui refusent le chagrin… »

Il n’est pas devenu comédien pour rien. Ni écrivain par hasard. C’est un homme prolifique – près de 25 livres publiés – sans cesse dans sa création ou celle des autres. « Il faut que je sois happé par quelqu’un d’autre, par autre chose que moi, sinon, la réalité m’agresse et je retourne dans son pattern à elle. Tout m’est insupportable, tout va de travers, la vie me propose des menus qui ne m’intéressent pas, la société m’exaspère, je ne pourrais même pas aller dans un autre pays, il faudrait que je change de planète. Je sais alors que je suis dans le même absolu qu’elle. »

Et c’est à elle qu’il laisse le dernier mot dans son roman. « Ça ne sert à rien, je ne l’aurai jamais », lance-t-il en riant. Mais n’est-ce pas l’écrivain qui a toujours le dernier mot ? « Peut-être que ma revanche a été de dire que tout ce que je n’ai pas eu le temps de placer comme parole, je vais m’en servir pour faire son portrait. En même temps, je sors de son piège en utilisant son langage et sa façon de faire, ce qui est paradoxal. »

Extrait

C’est le cœur qui meurt en dernier de Robert Lalonde 

« — Moi, à ta place…

— T’es pas à ma place ! T’es loin d’être à ma place, mon pauvre enfant ! Toi, t’as devant toi l’éternité ! T’es encore au pied de la côte, tandis que je la déboule cent milles à l’heure !

— T’exagères ! T’exagères tellement !

— T’as ben des croûtes à manger avant de comprendre ça, laisse-moi te le dire ! Mais tu perds rien pour attendre ! Quand ta belle jeunesse finira d’un coup sec, tu vas t’apercevoir qu’elle a pas duré plus longtemps que la récréation dans ta cour d’école ! Pis t’en finiras pus de l’appeler, de la supplier de revenir, ton cœur ratatiné dans sa cage comme un pinson à moitié mort ! »

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