Opinion

Inciter les filles à se tourner davantage vers les sciences

Aujourd’hui, nous célébrerons la Journée internationale des femmes et des filles de science. C’est l’occasion idéale de saluer tout le chemin parcouru depuis qu’Elsie MacGill, conceptrice d’aéronefs et première femme ingénieure au Canada, s’est fait imposer de quitter l’Université de Colombie-Britannique en 1921 parce qu’elle était une femme.

Si cette entrepreneure accomplie et titulaire d’un doctorat du Massachusetts Institute of Technology (MIT) vivait encore de nos jours, près de 100 ans après l’obtention de son diplôme, serait-elle impressionnée de constater que la population étudiante dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM) à l’enseignement postsecondaire est féminine à 20 % ? Ou, au contraire, se demanderait-elle pourquoi ce pourcentage est si faible ?

Personnellement, nous croyons que celle qui est trop peu connue, malgré son titre de « Queen of the Hurricanes », hocherait la tête de découragement devant nos statistiques, comme le font d’ailleurs de nombreux Canadiens.

25 %

Proportion de femmes au Canada qui occupent des emplois dans les domaines des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques

Le nombre d’emplois dans les domaines reliés aux STIM augmente trois fois plus rapidement que les autres secteurs de l’économie et les salaires y sont 12 % plus élevés, et pourtant, on y trouve à peine 25 % de femmes. Seulement 13 % des ingénieurs appartiennent à la gent féminine.

Et pendant que les industries se font toujours plus nombreuses à exiger des connaissances en STIM, on ne compte au Canada que 20 % d’étudiantes dans ces domaines au postsecondaire. Pendant ce temps, d’autres pays se disputent la course : en Inde, ce pourcentage s’élève à 33 % et en Jordanie et en Tunisie, à 38 %.

Ce qui est plus inquiétant encore, c’est que de nouveaux rapports relèvent d’autres inégalités qui passent sous le radar. L’économiste en chef de la Banque TD, Beata Caranci, signale dans son article « Les femmes en STGM – Combler l’écart » que malgré le nombre accru de femmes titulaires de diplômes en sciences, technologie, génie ou mathématiques (STGM), celles-ci sont encore reléguées à des rôles techniques moins rémunérateurs plutôt que d’occuper des postes professionnels.

Les raisons de cette disparité sont fort nombreuses et complexes, mais concentrons-nous ici sur les solutions à mettre en œuvre. Lors d’un récent caucus ouvert au Sénat qui regroupait des chefs d’entreprise, des universitaires et des enseignants, les participants ont ciblé principalement trois moyens pour le Canada de réduire son déficit en population féminine dans les STIM.

1. Les filles doivent être exposées à un plus grand nombre de modèles de femmes actives dans les domaines des STIM, et ce, à un plus jeune âge

La panéliste Anjali Agarwal, professeure et directrice adjointe du département de génie électrique et de génie informatique de l’Université Concordia, soutient que l’Asie devance l’Amérique du Nord parce que les familles encouragent tant leurs fils que leurs filles à s’engager dans les domaines des STIM sous la promesse de salaires élevés, de sécurité et de prestige. « Cela commence à la maison même, avec nos parents », affirme Mme Agarwal.

Et cela se poursuit au secondaire. Statistiquement, les filles, habitées par l’angoisse des math, n’ont pas tendance à choisir les parcours en STIM, plus intenses en mathématiques, a découvert Ismael Mourifié, professeur adjoint au département d’économie de l’Université de Toronto. C’est attribuable non pas à leur incompétence en mathématiques, mais aux stéréotypes sexuels.

Comment remédier à la situation ? Selon M. Mourifié, « nous devons investir dans les compétences en math des enseignants du primaire et dans leur amour de cette matière pour insuffler cette énergie aux filles dès leur jeune âge. Nous devons aussi montrer aux enfants qu’être fort en math, ce n’est pas inné, ça vient avec le travail qu’on y met ».

2. Les écoles primaires publiques doivent nourrir encore davantage la compréhension et la passion des jeunes envers les STIM

Beata Caranci, qui a eu une seule femme comme enseignante pendant ses six ans d’études postsecondaires en économie, veut voir les écoles enflammer les jeunes d’une passion pour les STIM.

Constatant que la plupart des interventions en STIM se font dans des camps trop coûteux pour bon nombre de Canadiens, Mme Caranci se demande avec inquiétude si ces efforts ne génèrent pas eux-mêmes de plus grandes inégalités. En les intégrant au système d’écoles publiques, on permettrait à tous les enfants de découvrir la multitude de possibilités de cours et de carrières dans les divers domaines des STIM.

3. Nous devons revoir et modifier la façon d’enseigner les matières relatives aux STIM

Mme Agarwal souhaite que l’enseignement en génie intègre davantage d’aspects sociaux, comme les facteurs humains et les avantages sociétaux d’une bonne conception.

Doug Dokis, conseiller principal du programme national Jeunes autochtones en STIM (A-STIM) à Actua, est entièrement d’accord. « Quand nous pourrons relier les connaissances du monde occidental moderne aux contributions culturelles des anciennes technologies [...], des plantes médicinales, de l’astronomie et des mathématiques originales, nous serons en mesure de montrer à nos étudiants l’interconnectivité du monde concret de la science et de l’humain. »

Lorsque l’enseignement des STIM élargira ses horizons, il rejoindra une plus grande population d’étudiants et d’étudiantes, y compris les jeunes filles autochtones.

La plus jeune participante à notre caucus ouvert du 7 février souscrit à ces trois recommandations.

Sophia, entrepreneure de 9 ans et partisane convaincue de l’organisation Girls-in-STEM (les filles en STIM), s’est demandé ce que nous, les adultes, pouvions faire pour sa génération et ce que cette dernière pouvait faire pour nous. Et elle nous a fait part de cette réflexion : « Le problème est plus complexe qu’on le pense. Les jeunes filles doivent avoir plus de modèles actifs qui peuvent supprimer les obstacles pour nous. »

La Journée internationale des femmes et des filles de science est l’occasion de prendre position pour toutes les femmes dans le domaine. Mais dans quelque 100 ans, j’espère que cette journée donnera encore lieu à des célébrations de réussites, parce que Sophia, ses filles et ses petites-filles n’auront pas connu le sexisme et les obstacles qu’il engendre, qu’elles feront ce qu’elles aiment et qu’elles accompliront de grandes réalisations dans les domaines de la science, de la technologie, du génie et des mathématiques.

* Art Eggleton est membre du Sénat canadien, de Toronto. Il est actuellement président du Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Raymonde Saint-Germain est facilitatrice adjointe du Groupe des sénateurs indépendants. Elle a été nommée au Sénat en 2016, après deux mandats comme protectrice du citoyen du Québec et une carrière au sein de l’administration publique.

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