OLGA DUHAMEL-NOYER  LE RANG DU COSMONAUTE

Inquiétantes forêts
du passé

Le rang du cosmonaute

Olga Duhamel-Noyer

Héliotrope, 213 pages

Entre deux manuscrits qu’elle parcourt scrupuleusement à titre de directrice littéraire chez Héliotrope, Olga Duhamel-Noyer « vole » du temps pour écrire. Son troisième roman, Le rang du cosmonaute, prend place dans les forêts du Nord québécois, en plein hiver – et séduit tout autant que ses œuvres précédentes.

Il devait s’appeler La dernière forêt. Son deuxième roman, Destin, venait tout juste d’être imprimé, en 2009, et Olga Duhamel-Noyer planchait déjà sur le prochain, une idée bien précise en tête.

« Je voulais parler de la forêt. Une forêt abattue au Québec, cet immense territoire peuplé de conifères inquiétants, aussi oppressants que ce qu’on trouverait sur une autre planète », raconte-t-elle.

Déjà, dans Destin, l’auteure décrivait ces contrées lointaines, fascinantes et intrigantes, comme des « territoires angoissants noircis par les épinettes ». Des lieux étranges, conditionnés par leur propre dénuement, qui évoquent des paysages de son enfance – pourtant passée en grande partie entre Montréal et Paris.

« Je trouvais [Destin] trop pessimiste. En plus, j’avais envie de parler des étoiles et des extraterrestres, et il ne le reflétait pas. »

— Olga Duhamel-Noyer

D’où l’idée de jouer avec le mot « rang », un terme qui appartient au Québec.

Fidèle au style de ses deux premiers romans, Highwater et Destin (parus en 2006 et 2009), Le rang du cosmonaute est introspectif, sans dialogues. L’écriture est aussi envoûtante que l’atmosphère qui enveloppe le rang des Épinettes. « Un endroit étrange et un peu maléfique », écrit-elle, où elle a dû se rendre l’hiver, seule avec son ordinateur, pour se « claquemurer » et terminer son roman. Comme son protagoniste d’ailleurs, un anthropologue qui retourne dans la région où il a passé une partie de son adolescence pour écrire un livre sur la forêt, espérant se résoudre à vider la maison de son père. « Mais il se fait aspirer par l’endroit alors que ce n’est pas un homme qui règle les choses », explique l’auteure.

UN PERSONNAGE À L’IMAGE DE SON ÉPOQUE

Animée d’un immense souci du détail, l’auteure construit son récit comme une toile, à coups de pinceau discrets et soigneusement mesurés. Ainsi se dessine un personnage qui, à l’instar de sa génération, rêve « de lointain et d’espaces inconnus ». Youri, qu’elle imagine né quelques années après elle, dans les années 70, est un pur produit de son époque.

« Il est porté par l’histoire et par le rêve d’un monde meilleur. Les années 2000 vont arriver enfin, et quand elles arrivent, rien ne se passe », explique-t-elle.

Même si elle y abandonne la narration à la première personne, Olga Duhamel-Noyer admet volontiers que Youri, c’est « un peu plus elle » que les protagonistes féminins de ses deux premiers romans. Comme elle, il porte un prénom russe, « mais il ne l’est pas nécessairement », précise-t-elle en riant. La mère de Youri idéalisait l’Union soviétique de Gagarine, et la sienne, communiste, se passionnait tout autant pour la culture russe.

Depuis l’été dernier, Olga Duhamel-Noyer rêve quant à elle à son prochain roman. « C’est réconfortant de travailler sur une histoire, d’avoir un dossier avec quelques notes, même si je n’ai pas beaucoup de temps pour écrire. » Celui-ci parlera toutefois de chaleur et d’été. Et elle a déjà trouvé son titre.

RÊVES DE RÉVOLUTION

Lorsqu’on lui demande si l’écrivain doit s’engager, Olga Duhamel-Noyer hésite. « Je ne sais pas comment on fait pour ne pas l’être du tout. »

De son enfance passée à « attendre la révolution », elle conserve sans contredit sa ferveur. Elle rêve d’écrire un jour sur le communisme et la révolution, sur « ces années 70 qui ont été extraordinaires pour le Québec ». D’ailleurs, elle est encore sous le choc du printemps érable – dont les événements ont inspiré un texte, « La corde », qu’elle a signé dans le collectif Printemps spécial (paru chez Héliotrope à l’automne 2012).

Même si elle se dit « zéro militante », à l’opposé de sa mère qui militait activement au sein du Parti communiste, l’auteure n’a pu rester de glace devant cette mobilisation « magnifique », en particulier les casseroles. Elle ne supporte pourtant pas d’entendre que « ça n’a rien donné », deux ans plus tard. « Si tu es déçu, fais ta révolution toi-même. Mais tu ne peux pas juste pleurer. »

DE L’ÉCRITURE À L’ÉDITION

Ce qui plaît à Olga Duhamel-Noyer dans un texte, « c’est le style avant tout ». Directrice littéraire de la maison d’édition Héliotrope, elle « interroge chaque page » des manuscrits qui atterrissent sur son bureau. Une minutie coûteuse pour l’auteure… « C’est étrange d’écrire quand on travaille dans l’édition depuis plusieurs années. Je m’autocorrige cent mille fois plus. Avant, j’écrivais sur un souffle, mais maintenant, je peux réécrire le même passage 25 fois. »

Depuis 2006, année de sa fondation par Florence Noyer, Héliotrope a publié une quarantaine de titres, dont Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis en 2008, qui a véritablement lancé la maison. « Il n’y a pas un seul livre qui nous définit plus qu’un autre. La couleur d’Héliotrope, c’est le contraste entre chaque auteur. Entre Une vie inutile de Simon Paquet et C’est quand le bonheur de Martine Delvaux, par exemple, il y a un monde », explique qu’Olga Duhamel-Noyer.

EXTRAIT

Le rang du cosmonaute d'Olga Duhamel-Noyer

« Tout est triste ici. Davantage, si c’est possible, que du temps où son père était encore de ce monde. Habituellement, Youri sourirait pour lui-même en pensant cela, une légère angoisse continue néanmoins de monter en lui à mesure qu’il avance. Il reste aux aguets quelques secondes, puis fait encore sept pas. Devant lui, les contours de la maison commencent à apparaître, on distingue le tracé que dessine le toit à deux versants dans le ciel sombre. Elle tient toujours debout. Il n’y a rien de beau dans cette construction. Que des bardeaux d’aluminium grisâtres qui recouvrent une charpente de bois sur laquelle de la laine minérale rose et des feuilles de goudron ont été clouées. La maison est comme un cadavre derrière les épinettes, c’est ce que se dit Youri. Un cadavre que seul le froid a pu conserver de la sorte. »

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