Profession : pilote d'avion

Un problème pour le recrutement

« Les élèves voient le côté « glamour » les voyages vers Paris, Londres et Cuba, il se voient avec le statut de Robert Piché, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain, commente Éric Lippé, président de l’Association québécoise du transport aérien (AQTA). Il faut faire ses classes. »

Le problème, c’est que ces classes coûtent très cher et que les salaires versés au cours des premières années, même dans les grandes sociétés aériennes, ne sont pas mirobolants.

Il y a trois voies pour devenir pilote de ligne. La première, c’est de passer par l’armée de l’air. « Il y a beaucoup d’anciens pilotes militaires dans l’industrie, indique M. Lippé. Ils sont compétents, très appréciés. »

Toutefois, comme la formation de pilotes est très dispendieuse, l’armée veut les conserver le plus longtemps possible.

« Ils ne veulent pas que les pilotes quittent après cinq ou six ans, lance Craig Blandford, président de l’Association des pilotes d’Air Canada. Ils demandent un engagement de plus en plus long pour le pays. »

Lui-même a suivi cette voie. « J’ai passé 20 ans dans l’armée de l’air, raconte-t-il. Si je suis parti, c’est pour des raisons familiales, pour établir des racines à Winnipeg. »

La deuxième voie, c’est le collège public. Au Québec, le cégep de Chicoutimi offre une technique de pilotage d’aéronef. Les places sont toutefois limitées.

« Sur 2000 postulants, ils en prennent 40 », note Patrice Roy, président du syndicat des pilotes d’Air Transat.

Lui-même a suivi la troisième voie, les écoles privées de pilotage. À l’époque, dans les années 80, la formation lui a coûté 28 000 $, une dette qu’il a traînée pendant près de 10 ans. Aujourd’hui, on parlerait plutôt de 60 000 $.

L’AQTA milite pour que ces élèves aient accès au programme québécois de prêts et bourses, mais la partie est loin d’être gagnée.

1500, le chiffre magique

La formation formelle est une chose. Il faut en plus accumuler des heures et des heures de vol pour passer chez un transporteur aérien. « Ça prend 250 heures pour une licence de pilote commerciale, mais personne dans l’industrie ne va confier à un tel pilote la responsabilité de vies humaines », déclare M. Lippé.

Pour les grandes sociétés aériennes, la règle non écrite tourne autour de 1500 heures de vol. La seule façon d’accumuler ces heures sans se ruiner est de travailler pour de petites entreprises, notamment en photographie aérienne ou en transport de marchandises. Ils se font pilotes de brousse, puis passent au sein de petits transporteurs régionaux.

« J’ai travaillé six ans à Sept-Îles, avant d’aller à Terre-Neuve, raconte Patrice Roy. J’en ai transporté des quartiers d’orignaux sur mon dos, comme la plupart des pilotes canadiens. Ça m’a pris quasiment 10 ans pour passer dans une grosse compagnie d’aviation. »

Or, les salaires de départ chez ces gros transporteurs ne sont pas énormes. Dans le cas d’Air Canada, on parle d’un salaire annuel dans les 40 000 $.

« Presque tous se retrouvent avec une diminution de salaire parce que là où ils étaient avant, ils avaient une certaine ancienneté, affirme Craig Blandford. Ceci dit, les salaires augmentent par la suite et nous avons un niveau de vie raisonnable. Nous faisons ce que nous aimons et nous sommes fiers de ça, mais ce n’est pas comme c’était. »

Concessions

Quand Air Canada a dû se restructurer, en 2003, elle a sabré les conditions de ses pilotes.

« Nos salaires ont diminué de 15 à 20 %, nous travaillons plus d’heures, explique M. Blandford. Quelle jeune personne voudrait investir des dizaines de milliers de dollars dans cet environnement sans savoir quel genre de carrière elle pourra avoir ? »

Chez Transat aussi, les pilotes ont récemment accepté des concessions.

« Pendant des années, Transat était l’entreprise qui payait le mieux les pilotes qui entraient, se rappelle Patrice Roy. Dans la dernière convention collective, pour aider la compagnie, nous avons accepté une baisse des salaires à 50 000 $ pour la première année. Il a fallu s’adapter aux autres compagnies. »

Ce sont les plus petites entreprises qui feront les frais d’une éventuelle pénurie d’aspirants pilotes. Déjà, ces entreprises doivent se résigner à voir des pilotes s’envoler vers les grands transporteurs lorsqu’ils approchent la fameuse frontière des 1500 heures de vol.

Or, une pénurie de pilotes finira fatalement par se répercuter chez les plus grands.

« Notre bassin de pilotes est encore assez bon pour qu’ils viennent recruter et pour que nous puissions les remplacer, indique M. Lippé. Mais lorsque l’équipe-école n’aura plus de bons joueurs pour monter à la Ligne nationale, eux aussi devront faire face à ça. »

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