Victoire des conservateurs dans Chicoutimi-Le Fjord

Un coup de tonnerre dans le firmament politique canadien

OTTAWA — Les stratèges libéraux ont appris une dure leçon, hier soir, à 16 mois des prochaines élections fédérales : la popularité de Justin Trudeau a ses limites.

Durant les 10 derniers jours de campagne, le premier ministre s’est rendu dans la circonscription de Chicoutimi-Le Fjord à deux reprises, malgré un horaire fort chargé, afin de préserver ce siège remporté de peu par les libéraux au dernier scrutin. Ces efforts n’ont pas permis de faire mentir le sondage publié mercredi dernier, jour d’une visite sans précédent de quatre chefs dans cette circonscription. Le coup de sonde prédisait une victoire sans appel du candidat conservateur Richard Martel.

L’ancien entraîneur des Saguenéens de Chicoutimi a en effet vogué vers une victoire facile, hier soir, récoltant 52,7 % des suffrages au moment d’écrire ces lignes, loin devant la candidate libérale Lina Boivin, qui recueillait 29,5 % des voix. Même si le Nouveau Parti démocratique (NPD) avait remporté cette circonscription durant la vague orange en 2011 avant de la céder au Parti libéral en 2015, le candidat néo-démocrate Éric Dubois obtenait hier soir un famélique 8,7 % des voix. Il devançait à peine la candidate du Bloc québécois Catherine Bouchard-Tremblay (5,6 %), un parti tiraillé par une guerre fratricide depuis plusieurs mois.

« C’est une victoire qui est importante pour nous ce soir. Nous sommes très contents de la tournure des événements. Je pense que c’était extrêmement important pour le Parti conservateur de gagner ce siège », a déclaré Richard Martel à La Presse après sa victoire.

« Il y a du mécontentement et de la déception envers le gouvernement Trudeau ici à Chicoutimi-Le Fjord. »

— Richard Martel

Depuis leur arrivée au pouvoir en 2015, les libéraux de Justin Trudeau ont réussi l’exploit d’arracher deux circonscriptions à l’opposition officielle à la Chambre des communes. En temps normal, c’est plutôt l’inverse qui se produit, les électeurs cherchant à envoyer un message au gouvernement sans que cela ne modifie les forces en présence à la Chambre des communes.

À titre d’exemple, le libéral Richard Hébert a remporté la victoire lors de l’élection partielle du 23 octobre dernier dans la circonscription de Lac-Saint-Jean, détenue pendant 10 ans par l’ancien ministre conservateur Denis Lebel.

Le 11 décembre dernier, les libéraux de Justin Trudeau ont refait le coup aux conservateurs d’Andrew Scheer dans la circonscription de Surrey-Sud–White-Rock, en Colombie-Britannique.

À tort ou à raison, les stratèges libéraux ont mis beaucoup de leurs œufs dans le panier de la popularité de Justin Trudeau auprès de l’électorat pour aider la cause des candidats durant ces partielles. 

Rompant avec la tradition de ses prédécesseurs, le premier ministre a fait campagne dans chacune des 13 circonscriptions du pays où ont eu lieu des élections partielles depuis le 24 octobre 2016.

Mais le gouvernement libéral de Justin Trudeau traîne désormais un bilan plus imposant qu’il doit défendre. La volte-face sur la réforme électorale, le flou qui persiste sur le retour à l’équilibre budgétaire, l’achat surprise du pipeline Trans Mountain par le gouvernement fédéral pour la somme de 4,5 milliards de dollars et la légalisation de la marijuana sans tenir compte des préoccupations des provinces, dont le Québec, entre autres, sont autant d’enjeux qui alimentent les critiques dans plusieurs régions du pays.

« Le Québec demeure un terrain fertile pour notre parti. Mais il est clair qu’il reste du travail à faire pour être en mesure de récolter les fruits que peut rapporter ce terrain fertile. Quelles sont les raisons de cette défaite ? Je ne crois pas que l’on peut mettre le doigt sur une affaire en particulier », a analysé un stratège libéral.

Pour l’heure, la guerre fratricide à laquelle s’est livré le Bloc québécois et l’effondrement des appuis au NPD profitent largement au Parti conservateur dans certaines régions du Québec. Cela annonce aussi une lutte à deux dans la province en 2019.

« Le résultat de cette partielle démontre que les Québécois sont plus conservateurs qu’on ne le pense. Le Québec est une des seules juridictions dans la fédération canadienne à avoir ses finances publiques en ordre. La CAQ, qui aspire au pouvoir, compte aller plus loin dans cette direction. Les Québécois veulent que la loi et l’ordre soient respectés et s’inquiètent, avec raison, de voir des migrants traverser illégalement notre frontière. Les nationalistes québécois valorisent notre histoire et veulent préserver leur langue, leur culture et leur patrimoine. Ce sont tous des principes foncièrement conservateurs, et le Canada anglais devrait en prendre bonne note », a affirmé Carl Vallée, ancien proche collaborateur de l’ex-premier ministre Stephen Harper qui est aujourd’hui associé chez HATLEY, à Montréal.

Les résultats d’hier soulèvent aussi de nombreuses questions au sujet de l’avenir du NPD au Québec. 

Déjà en coulisses, des critiques de plus en plus fréquentes et acerbes venant de députés qui sont arrivés à Ottawa grâce à la vague orange de 2011 se font entendre au sujet du leadership de Jagmeet Singh. À la tête du parti depuis octobre dernier, M. Singh est toujours sans siège à la Chambre des communes. 

Alors que le député néo-démocrate Dany Morin avait été battu par le libéral Denis Lemieux par seulement 600 voix au dernier scrutin dans Chicoutimi-Le Fjord, la formation de Jagmeet Singh n’était pas du tout dans la course cette fois-ci.

« Être troisième sur le podium de la sorte, c’est non seulement humiliant, c’est catastrophique », a confié à La Presse hier soir une source néo-démocrate, qui a requis l’anonymat afin de pouvoir s’exprimer plus librement. « Le comté de Chicoutimi-Le Fjord est 99,9 % francophone et il est typique des comtés que nos députés détiennent ailleurs au Québec. Ça va prendre un acte de lucidité de la part du chef pour arriver à contrer cette tendance », a ajouté cette source.

La pression sera forte sur M. Singh et son entourage pour que l’on donne rapidement un solide coup de barre afin d’éviter l’hécatombe au Québec et que le NPD soit de nouveau cantonné au rôle de conscience du Parlement.

Appréhendant une humiliante défaite, Jagmeet Singh a convoqué ses députés du Québec à une rencontre hier soir à Ottawa afin de connaître leur état d’âme et préparer ensemble une esquisse de réponses aux questions incisives à venir des journalistes, selon des informations obtenues par La Presse.

Pis encore, on apprenait aussi hier soir que des députés néo-démocrates du Québec se font ardemment courtiser par les libéraux de Justin Trudeau par les temps qui courent. Jusqu’ici, les députés résistent à l’appel des sirènes, lesquelles n’hésitent pas à leur faire valoir que leur salut électoral au Québec passe par une carte de membre du Parti libéral du Canada.

Tout au long de la campagne dans Chicoutimi-Le Fjord, les électeurs ont été vivement courtisés par tous les chefs des principales formations politiques, conscients de l’importance symbolique et stratégique d’une victoire ou d’une défaite. En octobre 2019, c’est tout le Québec qui sera le théâtre d’une telle campagne de séduction.

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