Chronique

La SQ, police politique

Depuis quatre ans, on devine les contours des systèmes qui ont permis à des entrepreneurs, des ingénieurs, des organisateurs politiques et parfois même des élus — au municipal comme au provincial — de faire rouler de sales combines lubrifiées avec l’argent des taxes.

Des gens ont été arrêtés et font face à la justice. D’autres n’ont pas été accusés, mais font face à une sorte de culpabilité morale. Vous savez qui ils sont.

Sauf qu’il y a un acteur qui s’en tire trop bien, dans cette thérapie collective anticollusion qui dure depuis quatre ans. Il a sa part de responsabilité dans le climat d’impunité qui a permis aux filous de s’enrichir sur le dos des Québécois.

Je parle, bien sûr, de la Sûreté du Québec.

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La SQ est le seul corps de police au Québec autorisé à enquêter sur la corruption touchant la politique. La police de Montréal ne peut pas enquêter sur l’écosystème politique municipal ou provincial. Tout comme la police de Laval ne pouvait pas enquêter sur les saloperies lavalloises.

Seule la SQ possède le « niveau 6 » d’enquête qui permet d’enquêter sur la corruption politique.

Quand on sait le nombre de crosses à ciel ouvert qui se déroulaient au Québec, crosses révélées par les journalistes et par la commission Charbonneau, on se dit que des flics le moindrement ambitieux auraient pu pêcher au gros, dans ces étangs-là.

Mais non. Avant la création de l’escouade Marteau, c’était comme si la SQ ne voyait rien, n’entendait rien de ce qui se passait au ministère des Transports ou dans les villes de la couronne nord.

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Je refuse de croire que c’est un hasard. Trop d’indices accumulés au fil des ans donnent à penser que quand les flics de la SQ, les enquêteurs de la base, souhaitaient se pencher sur ces histoires, la volonté de leurs boss était plutôt molle.

À tel point qu’il y a deux ans, j’ai écrit une chronique qui s’intitulait Bonjour la police… politique, pour illustrer qu’une des fonctions de la SQ est de s’assurer que ses maîtres politiques ne soient pas embarrassés.

Je me basais sur mes propres infos et sur un récent scoop de Fabrice de Pierrebourg, une lettre qu’il avait reçue d’officiers anonymes de la SQ. Puis, plus tard, l’équipe d’Enquête a aussi donné la parole à des flics provinciaux exaspérés de se faire mettre des bâtons dans les roues par des boss qui ne veulent pas faire de vagues qui vont se rendre jusqu’à l’Assemblée nationale.

Le Journal de Montréal a sorti une autre pièce à conviction dans le dossier « SQ, police politique », hier. La SQ a avisé le gouvernement Charest que Michel Arsenault, président de la FTQ, était au centre d’une enquête criminelle. C’est la SQ qui a pris l’initiative d’aviser l’État.

On croit rêver !

On ne croit plus, surtout, les mensonges de la SQ qui, au fil des années, jure qu’il y a un mur étanche entre ses enquêtes et le gouvernement en place. C’est faux.

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Après la décision sidérante des patrons de la SQ d’aviser leurs maîtres politiques de l’enquête sur la FTQ, il s’est passé un truc troublant. Les cibles de l’enquête, qui faisaient l’objet d’écoute électronique par la SQ, se sont mises à parler du fait… qu’elles étaient visées par de l’écoute électronique.

L’enquête, Diligence II, a fait patate.

En écrivant ces lignes, j’apprends que la SQ a institué une enquête criminelle pour connaître les sources du Journal de Montréal. Une autre après celle qui a été lancée pour connaître les sources journalistiques dans l’affaire de la taupe de la police de Montréal, Ian Davidson.

Cette enquête est demandée par Stéphane Bergeron, ministre de la Sécurité publique. Autre preuve que la SQ est une police politique qui se fiche de la couleur du gouvernement.

Évidemment, n’attendez pas une enquête pour tenter d’arrêter les boss de la SQ qui ont trahi le secret d’une enquête sur la FTQ en alertant le gouvernement Charest.

Parce que des fuites aux journalistes, c’est mal. Mais une fuite aux maîtres politiques, c’est tout simplement dans la description de tâches d’une police politique.

Je me demande comment Bernard Drainville et Jean-François Lisée, deux journalistes qui ont exercé le métier au plus haut niveau, se sentent devant cette chasse aux sorcières. Ils savent, eux, que sans sources confidentielles, il n’y a pas de liberté de presse digne de ce nom.

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En quoi le caractère politique de la SQ est-il tragique ?

Si la SQ avait agi dans les 25 ans avant 2009, si elle avait institué des enquêtes criminelles à Québec, à Montréal et à Laval, nous n’aurions jamais eu besoin de la commission Charbonneau. Les filous n’auraient jamais pu agir en toute impunité.

En cela, notre petite police provinciale mérite autant de mépris que les ingénieurs, que les constructeurs et autres brillants fleurons du politique pour le gâchis qui se déballe chez la juge Charbonneau au quotidien.

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