Défaite du parti libéral dans Louis-Hébert

En remportant l’élection partielle dans Louis-Hébert lundi, la Coalition avenir Québec a réussi à prendre un château fort libéral. Au lendemain de la défaite, l’heure était au bilan au Parti libéral. Analyse et réactions.

ANALYSE

Après l’électrochoc, les rumeurs de remaniement s’emballent

Québec — Beaucoup étaient du même avis. Dans l’entourage de Philippe Couillard, on conseillait au premier ministre d’assister à la réunion du caucus des députés libéraux, hier matin. Après la dégelée subie par le PLQ dans Louis-Hébert, le chef du gouvernement devait être là pour réconforter les troupes, expliquer les causes de la déroute. Absorber la grogne aussi.

Mais Philippe Couillard n’était pas de cet avis. Il s’est rendu, comme il l’avait prévu, à Ottawa pour assister à une conférence fédérale-provinciale sur les autochtones, où son ministre Geoffrey Kelley était de toute façon invité. Moment saugrenu, inusité, le chef s’est brièvement adressé aux troupes par téléphone, un coup de fil retransmis par un bidule de conférence téléphonique. Le vrai bilan sera pour ce matin, a-t-il promis.

Depuis la raclée de lundi, les officines libérales bruissent de rumeurs sur l’imminence d’un remaniement ministériel. Jean-Louis Dufresne, le chef de cabinet sortant, en avait parlé lors de son souper de départ, un remaniement était prévu pour la semaine prochaine, mais resterait « mineur ». Mais c’était avant l’électrochoc de lundi.

Il y a l’intelligence, et l’intelligence relationnelle. Philippe Couillard, tout le monde en convient, est favorisé côté intellect. Mais pour la compréhension des rapports avec les autres, de son rôle au sein d’une équipe, d’une organisation, d’un parti, c’est une autre affaire. 

Ceux qui ont siégé autour de la table du Conseil des ministres se souviennent de réunions où il devait attendre quelques collègues histoire d’avoir quorum, d’être suffisamment nombreux. « Le quorum, c’est moi ! », aimait trancher Couillard.

L’anecdote circule depuis des années à Québec. Le patron d’une importante boîte de relations publiques avait invité Couillard, à l’époque ministre de la Santé, à une partie de pêche avec de gros canons de l’industrie pharmaceutique. Couillard n’en avait cure d’échanger des banalités et préférait s’activer avec sa canne à mouche. L’organisateur a dû aller le chercher, au bout du quai, en lui soulignant que les camarades avaient bien envie de lui parler. Encore la semaine dernière, le président d’un géant de l’économie québécoise tentait en vain de joindre M. Couillard au téléphone. Impossible ce jour-là… et pas davantage le lendemain… avait répondu le nouveau chef de cabinet, Jean-Pascal Bernier, qui se proposa finalement comme interlocuteur ! On déclina, poliment.

C’est le même Philippe Couillard qui n’avait pas capté la colère d’un Sam Hamad, à qui il avait promis un retour au Conseil des ministres. Qui n’avait pas anticipé les conséquences d’une démission, à Québec, au moment et à l’endroit précis où la Coalition avenir Québec avait le vent dans les voiles.

Quand il est allé voter au Club de golf de Cap-Rouge, lundi, l’ancien ministre Hamad a reçu bien des signes d’appréciation de ses ex-commettants. Le résultat de Louis-Hébert s’explique, en partie, par le mécontentement d’électeurs libéraux. Avec 30 % de moins de suffrages exprimés, la caquiste Geneviève Guilbault, une candidate de choix, est parvenue à rejoindre la majorité de Sam Hamad aux dernières élections, près de 8000 voix. C’est dire la force de la vague antilibérale.

Depuis l’élection de Louis-Hébert, la machine à rumeurs s’est remise en marche, et à grande vitesse. On réentend tous les scénarios, plusieurs se trouvaient dans les journaux déjà le printemps dernier ; Laurent Lessard veut être délesté des Transports. Il a failli être exaucé fin juin.

À l’interne, des sources indiquent que Philippe Couillard tient à ramener Robert Poëti. Il attribue à cette rétrogradation du début de 2016 l’amorce de tous ses problèmes. Exit alors Rita de Santis, voisine de circonscription. Pour attirer les électeurs de Québec, on veut faire monter Véronique Tremblay, plus proche du profil de la CAQ.

Dans les cabinets ministériels, on conjecture sur le sort de Martin Coiteux, méthodique et méticuleux, qui ferait bien aux Transports. Isabelle Mélançon et Marie Montpetit auraient une chance, mais on parle davantage, depuis des mois, d’André Fortin, de l’Outaouais.

La rumeur d’un remaniement est revenue périodiquement depuis la fin de 2016. Bien des signes militent en faveur d’un remaniement, mais aucun ministre n’a, pour l’heure, eu le signal qu’il devait modifier son agenda. Absent depuis des mois pour des raisons de santé, le secrétaire général Roberto Iglesias sera à Québec vendredi, mais reviendra au travail la semaine prochaine.

Une victoire de l’opposition dans un château fort gouvernemental lors d’une élection complémentaire n’est pas une première. En 2004, la péquiste Elsie Lefebvre avait remporté Laurier-Dorion, un château fort libéral sous Jean Charest. En 2002, Marie Grégoire et deux autres adéquistes avaient remporté des partielles, et la libérale Nathalie Rochefort avait amené Mercier, la circonscription mythique de Gérald Godin, aux libéraux sous Jean Charest en 2001. Tous ces députés ont connu le même sort : ils ont été battus aux élections générales suivantes.

Est-ce qu’un chambardement du Conseil des ministres est la réponse qu’attendent les électeurs ? Si l’on ne bouge pas de gros canons comme les Barrette, Leitão et Moreau, le brassage de cartes risque d’être vu comme une opération purement cosmétique.

Un gros brassage de cartes en pleine session parlementaire serait une première. Le « livre du baseball », ce guide informel et non écrit des chefs de gouvernement, suggérerait qu’on repousse ce chambardement au début de 2018. Mais Philippe Couillard n’a pas souvent suivi le mode d’emploi.

Défaite du Parti libéral dans Louis-Hébert

Des libéraux mettent en cause la consultation sur le racisme

Québec — La décision de lancer une consultation sur la discrimination systémique et le racisme explique en partie pourquoi le Parti libéral a reçu « une belle claque sur la gueule » dans Louis-Hébert, selon deux élus libéraux de la région de Québec. D’autres députés considèrent que le gouvernement peine à faire passer son message auprès des électeurs. Des « réalignements » se profilent. Survol des réactions.

« Un certain malaise »

Pour le député libéral de Vanier, Patrick Huot, la défaite cinglante du Parti libéral du Québec (PLQ) aux mains de la Coalition avenir Québec (CAQ) est notamment attribuable aux circonstances entourant la démission de Sam Hamad et aux « erreurs de début de campagne », avec le retrait du candidat libéral Éric Tétrault en raison d’une affaire de harcèlement psychologique. Mais il y a plus, selon cet élu de Québec : le PLQ se fait critiquer au sujet de la consultation sur le racisme. « Les gens ont un certain malaise, comprennent peut-être mal où on s’en va », a-t-il soutenu. Selon lui, le PLQ « a eu une belle claque sur la gueule ». « Il faut prendre un pas de recul et revoir notre message. » Son collègue dans Portneuf, Michel Matte, soutient que la consultation est « effectivement » mal reçue par les électeurs de sa circonscription. « Je ne pense pas que ce soit une priorité pour les comtés francophones », a-t-il lâché, laissant entendre par la suite que le gouvernement devrait abandonner l’exercice.

Un enjeu sensible

De son côté, la ministre de l’Immigration, Kathleen Weil, considère qu’elle doit « redoubler d’efforts » pour expliquer la « nécessité de faire une consultation ». Dans certaines régions, comme Québec, « il y a une sensibilité » sur cette question, a-t-elle reconnu. Mais elle a insisté : « Ce n’est pas un tribunal, il n’y a pas de personne coupable, les Québécois ne sont pas racistes, il faut le répéter. » Son cabinet a confirmé à La Presse que 6 des 31 organismes mandatés pour tenir les consultations locales verront leur financement doubler afin de leur permettre de tenir des « événements publics de plus grande ampleur ». Ils toucheront 20 000 $ au lieu de 10 000 $ chacun. Pour la députée péquiste Carole Poirier, le gouvernement doit « mettre fin à ce cirque », une demande faite également par la CAQ.

Vers des « réalignements »

Le lieutenant de Philippe Couillard dans la région de Québec, François Blais, a reconnu que son gouvernement avait reçu un message « très fort » et « non équivoque » de la population. Il y voit la preuve que ses troupes devront mieux communiquer d’ici aux élections générales, prévues le 1er octobre 2018. « Peut-être que là, en ce moment, il y a une difficulté au niveau de notre message, a-t-il dit. La population cherche à nous comprendre, à nous suivre, ça va amener des clarifications et des réalignements de notre gouvernement. » Le résultat de lundi soir est « un coup de tonnerre », selon le ministre et leader parlementaire Jean-Marc Fournier. « Il me paraît un peu tôt pour avoir toutes les réponses, mais on ne va pas la banaliser [l’élection]. Si le coup de tonnerre est à ce point gros, il vaut la peine de l’analyser correctement », a-t-il affirmé. Selon le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau, « la pire des choses à faire serait de se fermer les yeux ». Le gouvernement doit trouver une façon « d’expliquer aux Québécois de façon plus convaincante pour eux les bienfaits de la marge de manœuvre que nous nous sommes redonnée ».

Les médias blâmés

Appelé à expliquer la défaite dans Louis-Hébert, André Drolet a plaidé que les bons coups du gouvernement ne sont pas suffisamment relayés par les médias. « Jamais on ne parle de ces choses d’importance-là », a dit le député de Jean-Lesage, à Québec. « Pour un député de terrain comme moi, il est évident qu’on a un message à écouter des citoyens. Et puis quelque part, vous [les journalistes] avez un rôle à jouer pour nous donner une chance de faire paraître les coups qu’on fait du bon côté. » Personne chez les libéraux n’a voulu commenter les rumeurs de remaniement ministériel. Philippe Couillard se trouvait à Ottawa hier pour une rencontre des premiers ministres provinciaux.

Un résultat qui « ouvre des portes », selon Legault

Avec un appui de 51 % contre 18,7 % pour le PLQ, la victoire décisive dans Louis-Hébert « ouvre des portes » à la Coalition avenir Québec, selon son chef François Legault. La formation politique peut désormais espérer faire des gains partout au Québec, estime-t-il. La CAQ n’a jamais fait élire un député dans l’île de Montréal, pas plus que dans les régions comme l’Abitibi, le Saguenay–Lac-Saint-Jean ou la Gaspésie. Sauf qu’une victoire éclatante comme celle de lundi soir – dans un bastion libéral de surcroît – « ouvre les yeux » de la population dans ces secteurs, selon M. Legault. « Si on regarde ça froidement et compare les résultats de 2014 avec les résultats d’hier soir, effectivement, on peut dire que si les choses restent comme elles sont actuellement, la CAQ pourrait gagner partout au Québec », a-t-il dit.

« On a beaucoup de travail à faire », dit Lisée

Le Parti québécois a encore « beaucoup de travail à faire » pour convaincre les électeurs de Louis-Hébert et de la région de Québec de le choisir comme solution de rechange au gouvernement libéral, admet le chef péquiste Jean-François Lisée. À la lecture des résultats de l’élection partielle dans cette circonscription de la capitale nationale, où son candidat a obtenu un « score » (16,3 %) encore plus faible que celui enregistré lors de la dernière élection générale, le chef du Parti québécois estime tout de même que le message envoyé par l’électorat est : « Faut que les libéraux s’en aillent. » Il reste à son parti à démontrer, dit M. Lisée, qu’il est le mieux placé pour représenter la solution de rechange.

— Avec Denis Lessard, La Presse

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