Plein air

Perdre l’orientation

La scène, quelque part sur le mont Washington, est typique : le temps est exécrable, la visibilité est presque nulle, le téléphone intelligent qui servait de GPS, vaincu par le froid, ne fonctionne plus.

Heureusement, le petit groupe de randonneurs vient justement de suivre une formation en alpinisme et a pris soin de s’équiper de cartes et de boussoles.

Un GPS, c’est bien. Une carte et une boussole, et la capacité de les utiliser, c’est mieux.

« La première chose qui me laisse tomber quand je guide ou quand je suis en déplacement, c’est tout appareil à batteries », dit Dominic Asselin, fondateur et dirigeant d’Attitude Montagne, une entreprise de Saint-Adolphe-d’Howard qui offre des cours d’alpinisme et d’escalade.

La batterie se vide, l’appareil prend l’eau ou fait une chute bien sentie sur un gros caillou : bien des choses peuvent arriver.

« En ville, si le GPS fait défaut, on peut toujours demander son chemin à quelqu’un, observe Geneviève Blondeau, formatrice au programme de tourisme d’aventures et d’écotourisme au collège Mérici, à Québec. Dans le fin fond de la forêt ou du désert, il n’y a pas grand monde pour nous aider. »

SAVOIR LIRE UNE CARTE

Même si l’appareil fonctionne bien, en terrain montagneux, il peut parfois être difficile de capter le nombre nécessaire de signaux satellites pour assurer un positionnement exact.

« Sur certains terrains accidentés, une erreur de 10 m peut être énorme et peut devenir problématique en fait de sécurité. »

— Dominic Asselin, fondateur et dirigeant d’Attitude Montagne

Il préconise donc la navigation à partir de cartes et de boussoles. Le GPS peut toutefois être utilisé de façon secondaire, notamment comme outil de correction à la navigation.

« Bien des gens ont de la difficulté à bien suivre leur itinéraire, indique M. Asselin. En ouvrant leur GPS, il sont capables de corriger leur itinéraire s’ils ont dévié un peu. »

Geneviève Blondeau note qu’en utilisant un GPS de façon systématique, les adeptes de plein air risquent de porter moins attention aux repères existants : un lac, une rivière, une colline, qui permettent de s’orienter lorsqu’on les compare à ce qui se trouve sur une carte.

« Il y a beaucoup d’informations sur une carte : c’est important de savoir la lire », affirme-t-elle.

LES DANGERS SUR LE CERVEAU

Selon Nora Newcombe, professeure de psychologie à l’Université Temple de Pennsylvanie, le sens de l’orientation, c’est comme un sport. Si on ne le pratique pas, on ne s’améliore pas. En fait, on va probablement régresser. « L’utilisation du GPS ne va certainement pas aider à s’améliorer », soutient-elle.

Or, il est important d’exercer son sens de l’orientation parce qu’il fait appel à une partie du cerveau, l’hippocampe, qui joue un rôle déterminant dans la prévention de maladies neurologiques et psychiatriques, notamment la maladie d’Alzheimer et le syndrome du stress post-traumatique.

« Si une personne n’utilise pas son hippocampe et que celui-ci s’atrophie, la personne tombe dans une catégorie à risque de ce type de maladies », affirme Véronique Bohbot, chercheuse à l’Institut Douglas et professeure agrégée au département de psychiatrie de l’Université McGill.

Mme Bohbot juge cette question si importante qu’elle a créé un site internet pour informer la population à ce sujet.

Elle explique qu’il existe deux façons de naviguer : la stratégie spatiale, qui fait appel à l’hippocampe, et la stratégie de réponse, qui fait appel à une autre région du cerveau, le noyau caudé.

« Pour la stratégie spatiale, on regarde les points de repère dans l’environnement, on établit une relation entre eux, on se fait une idée globale de l’environnement, on peut faire un dessin vu de haut, en vol d’oiseau », indique-t-elle.

Certaines personnes sont toutefois incapables de faire cela.

« Elles ont appris à naviguer avec un système de gauche-droite : je sors de chez moi, je tourne à droite. À la station-service, je tourne à gauche. C’est la stratégie de réponse aux stimuli : un élément de l’environnement agit comme un stimulus qui engendre une réponse de ma part. »

— Véronique Bohbot, chercheuse à l’Institut Douglas et professeure agrégée au département de psychiatrie de l’Université McGill

C’est une stratégie qui fonctionne bien. Dans certaines conditions, elle peut même être plus rapide que la stratégie spatiale et réduire le nombre d’erreurs. Mais elle ne contribue pas à la croissance de l’hippocampe.

« Les gens qui utilisent cette stratégie pensent que tout va bien et que tout est merveilleux, jusqu’à ce qu’ils se trouvent à risque de maladies neurologiques et psychiatriques », affirme Mme Bohbot.

Des facteurs génétiques ou biologiques pourraient expliquer pourquoi une personne favorise une stratégie plutôt qu’une autre. Plusieurs personnes sont flexibles et sont capables d’utiliser les deux stratégies, mais pas en même temps.

Le GPS fait surtout appel à la deuxième stratégie, la stratégie de réponse.

« La plupart des GPS sont conçus de façon à ce qu’on écoute simplement les directions et qu’on y obéisse aveuglément, note Nora Newcombe, de l’Université Temple. Même s’il y a des éléments visuels, ils sont très simples. Cela ne permet pas de se faire une carte mentale de l’environnement. »

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