MÉDIAS ANALYSE

Les journalistes du Globe and Mail n’écriront pas de publireportages

Les employés du Globe and Mail ont voté à 84 % hier en faveur de l’entente proposée par la direction.

La grève avait été évitée de justesse mercredi, quelques minutes avant l’heure butoir imposée par le syndicat, qui avait rejeté les dernières offres patronales et obtenu un vote de grève majoritaire de la part de ses membres.

Les journalistes, employés de la publicité et de la distribution, tous membres du même syndicat, ont donc obtenu une augmentation salariale de 1 %, 2 % et 2 % sur trois ans. Ce nouveau contrat de travail prend fin en juin 2017.

Parmi les gains les plus importants pour les journalistes : le retrait d’une clause qui les aurait obligés à écrire des publireportages, ce qu’on appelle dans le jargon de l’advertorial. « En refusant cette clause, nous avons protégé l’intégrité et la réputation des journalistes du Globe and Mail », a souligné leur représentante, Sue Andrew.

UN CONTEXTE DIFFICILE

La négociation qui s’achève a été suivie de près par tous les observateurs de l’industrie des médias au pays. Le contexte n’est pas facile pour les journaux. Hier, Postmedia, le plus grand groupe de presse au pays, a annoncé ses résultats pour le dernier trimestre : une baisse de 16,5 % des revenus publicitaires pour l’imprimé et de 4,5 % pour le numérique.

Il n’est pas le seul à enregistrer des pertes. Torstar, qui possède le Toronto Star, quotidien le plus lu du pays, affiche lui aussi des revenus à la baisse. Ses derniers résultats indiquaient une baisse de 6,6 %. Dans ce contexte, les journalistes et autres employés de la presse écrite n’ont plus le gros bout du bâton à la table de négociation.

« Les journaux font encore de l’argent, note Jeffrey Dvorkin, directeur du programme de journalisme à l’Université de Toronto Scarborough, mais ils n’en font pas autant qu’avant, d’où l’insatisfaction des investisseurs qui exercent des pressions pour que les médias d’information trouvent de nouvelles sources de financement. C’est cette folle exigence de profits qui explique la situation dans laquelle se trouvent les médias aujourd’hui. »

C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire la tendance au publireportage, selon lui. « C’est LA solution que les médias ont trouvée pour rentabiliser leurs opérations et les publicitaires l’adorent », observe-t-il. 

« Il faut se demander comment les médias d’information feront pour concilier leur recherche de profits avec leur mission auprès du public. C’est là le défi. »

— Jeffrey Dvorkin, directeur du programme de journalisme à l’Université de Toronto Scarborough

Pour Paul Knox, professeur associé à l’École de journalisme Ryerson, le publireportage pose un sérieux problème. 

« Quand on emprunte le style et le ton d’une publication pour offrir un contenu publicitaire, c’est comme si on disait aux lecteurs : "Je sais que vous savez que je veux déguiser ma publicité". »

Les journalistes du Globe and Mail ont peut-être échappé à la menace de l’advertorial, mais nombreux sont ceux qui estiment que c’est une simple question de temps avant que cela devienne une réalité dans la plupart des salles de rédaction.

LE CHANGEMENT, UNE NÉCESSITÉ ?

« Le contenu commandité donne de l’urticaire aux journalistes et avec raison, note Jeffrey Dvorkin. Cette pratique peut tuer la réputation d’un journaliste ou d’un média. » Mais dans le même souffle, ce vieux routier du journalisme ne voit pas comment la communauté journalistique va y échapper.

Même son de cloche chez Thierry Watine, professeur de journalisme à l’Université Laval. « Je suis de la vieille école, dit-il, j’aurais tendance à dire que la diminution des conditions de travail des journalistes, jumelée à l’obligation de produire des contenus dont on ne sait pas s’ils sont de l’information ou de la publicité, c’est très grave. Par contre, si je me fais provocateur, je dirais que le changement est peut-être une nécessité. »

Selon lui, les journalistes devront accepter que le monde dans lequel ils vivent a changé : les frontières sont moins nettes et il leur faudra trouver de nouvelles façons de traiter l’information.

Paul Knox est moins pessimiste. Bien qu’il reconnaisse que le journalisme de marque est là pour rester « parce que les publicitaires constatent que c’est beaucoup plus rentable dans un environnement numérique qu’une bannière ou une simple publicité », il croit que ce type de contenu sera confié à des pigistes ou des journalistes spécialisés dans ce genre de rédaction. « Les journalistes syndiqués devraient pouvoir résister à ce genre de demande (et c’est ce que les journalistes du Globe ont fait). »

Mais selon Thierry Watine, si les journalistes n’établissent pas eux-mêmes les limites de ce qui acceptable et de ce qui ne l’est pas, d’autres le feront à leur place. « Les journalistes ne peuvent pas faire l’économie du changement, dit-il. Il n’y a plus de sanctuaire. »

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