Prostitution

Les agences d'escortes à l'ère des réseaux sociaux

Elles s’affichaient autrefois dans les petites annonces des journaux. Elles utilisent maintenant Twitter, Instagram et compagnie. Regard sur les agences d’escortes 2.0.

Sur le fil d’une agence, les messages se succèdent, dévoilant les mensurations des dernières escortes à être entrées au service du groupe. Le style est direct, concis. Pas besoin de 140 caractères pour se faire comprendre. Le système est automatisé : un tweet est envoyé dès qu’une nouvelle fiche est mise en ligne. Un petit clic, vous obtenez sa photo. Un autre clic et vous visionnez une vidéo érotique des déhanchements d’une autre « accompagnatrice » qui annonce sa prochaine venue en ville.

« J’utilise Twitter chaque semaine pour promouvoir les nouvelles filles. Ça me permet aussi d’annoncer leurs déplacements et d’informer les clients lors de changements », nous raconte Marilyn*, propriétaire d’une agence, sous le couvert de l’anonymat.

« Dans le temps, les développeurs offraient ça comme option. Maintenant, tout le monde est plus à l’aise. Ça n’empêche pas la fille d'avoir son propre site web. D’ailleurs, les clients aiment ça. Puis, c’est important de s’afficher sur les petites annonces aussi », explique Liam, développeur de sites internet. Bref, la stratégie est de multiplier le nombre de lignes à l’eau pour attirer les clients potentiels.

Impact difficilement quantifiable

Il est tout de même difficile de quantifier l’impact de cette nouvelle pratique. « C’est plus pour suivre la mode et se placer partout où c’est possible », nuance Miss Ka, une autre propriétaire d’agence. La donne change cependant pour les escortes au masculin. « Les femmes prennent leur temps lorsqu’elles choisissent une escorte. Ça peut prendre des mois. Elles ont aussi besoin d’avoir confiance avant même de contacter quelqu’un. Twitter m’aide beaucoup à élargir le nombre de femmes qui me connaissent. Je ne les invite pas à me voir, mais je discute et je flirte avec elles et de temps à autre une d’entre elles sera intéressée à me voir », nous raconte Olivier*.

Différents réseaux, différentes règles

La permissivité de ce qu’on peut publier varie selon le réseau social. Si la nudité est proscrite sur Facebook, elle est tolérée ailleurs. « Twitter a une politique moins ferme. Basé en Europe, le site de partage de vidéo Viméo a lui aussi une philosophie beaucoup plus ouverte et Dailymotion accepte carrément du contenu pornographique », explique Bruno Guglielminetti, expert en réseaux sociaux.

Pour lui, rien d’étonnant à voir l’industrie prendre ce virage, au-delà des questions de moralité. « Les gens qui offrent des services vont là où se trouve la clientèle. Comme ce sont des réseaux qui sont utilisés par des millions de personnes, ils se disent qu’il y a un marché potentiel. Ce qui me surprendrait, ça serait d’en voir un jour qui s’affiche sur le réseau social professionnel LinkedIn ! », ajoute-t-il.

Bruno Guglielminetti rappelle que l’industrie du sexe exploite depuis longtemps les possibilités de l’internet. « À l’époque, certaines escortes se faisaient un site internet pour inviter leur clientèle à les suivre. Avec un abonnement payant, des clients peuvent garder le contact avec des photos et des vidéos. À l’inverse, certaines vedettes de la porno se sont créé des sites web et allaient même jusqu’à rencontrer leurs fans pour des rapports sexuels. Ça se joue dans les deux sens. »

Mais même si elles passent à l’ère 2.0, les agences d’escortes ne courent pas nécessairement de risques supplémentaires pour autant. « Ça demeure la même loi qui s’applique pour les réseaux sociaux. Ce n’est pas différent des annonces classées », explique Nicolas Vermeys, professeur adjoint à la faculté de droit de l’Université de Montréal.

Les escortes monnayent leur compagnie et tout ce qui se passe ensuite est le résultat d’un accord entre deux adultes consentants. Les propriétaires d’agences peuvent cependant être visés par des accusations de proxénétisme et les salons de massages considérés comme des maisons de débauche, précise Julie Desrosiers, professeure à la faculté de droit de l’Université Laval. « Les annonces de leurs services sur internet pourraient servir d’éléments de preuve, mais elles ne suffiraient pas à elles seules », ajoute-t-elle.

Mais tout pourrait changer. Vendredi dernier, la Cour suprême a invalidé les articles de loi interdisant le proxénétisme, la sollicitation et la tenue d'une maison de débauche. Le gouvernement fédéral a un an pour adapter la législation, jugée incompatible avec les Charte des droits et libertés par le plus haut tribunal au pays.

* Noms fictifs.

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