Chronique

Lecture parasitée

L’insoutenable légèreté de l’être

Milan Kundera

Gallimard

476 pages

Je l’avais dans ma bibliothèque depuis un moment mais il me regardait bizarre. Arrive quand, le matin où l’envie nous prend d’amorcer un livre qui s’appelle L’insoutenable légèreté de l’être ? Quatre cent soixante pages en caractère - 8, où il est question de régime communiste, de l’invasion russe à Prague et des mille problèmes d’un chirurgien polygame ayant abandonné son fils ?

Ça prend un mardi pluvieux et une petite brassée de délicat, t’sais, faut être disponible.

Je me l’étais procuré pour une raison. Avant d’acheter un livre, j’en lis toujours deux ou trois lignes au hasard. Je m’arrête à n’importe quelle page et je lis une phrase. Ici, je suis tombé sur : « […] Peut-être inauguraient-ils un monument à la mémoire d’un autre notable qui portait aussi un chapeau melon dans les occasions solennelles. » (p. 101)

Rendu à chapeau melon, c’était pas mal réglé.

Ce réflexe s’apparente aux moments où on capte une bribe de conversation chez des passants. Je vais d’ailleurs saupoudrer ce texte d’extraits captés à l’audio pendant la lecture du livre concerné (ils sont tous authentiques, en passant. Je n’ai même plus le temps d’inventer).

Entendu sur l’avenue du Parc dimanche dernier : « Heille, elle, sa repousse est longue de deux semaines ! » En mimant l’équivalent d’environ cinq centimètres.

J’ignorais que les femmes se mesurent la repousse en temps plutôt qu’en distance. Deux semaines = cinq centimètres. Ce qui me donne un tour de taille d’à peine huit mois !

Je suis un novice dans l’univers Kundera mais il me semble que ses écrits comportent souvent d’intéressantes théories. Il décrit la « beauté accidentelle de New York ». Paris et Prague ont été construites dans une certaine harmonie architecturale, tandis que New York tient sa beauté d’un amalgame d’éléments incongrus, un mélange de styles qui par son incohérence devient stylisé, devient beauté accidentelle.

C’est vrai. Deux autres exemples de beautés accidentelles : Lady Gaga et la salade niçoise.

Couple dans un restaurant de Baie-Saint-Paul : 

— C’était l’fun la croisière, hein ?

— Oui mais le crisse de bateau avançait pas assez vite.

Il soulève, plus tard, que la vie n’est vécue qu’une seule fois, on ne peut donc pas savoir si on prend la bonne décision parce que c’est la première fois qu’on vit une vie. Il n’y a pas de deuxième chance. La vie est une esquisse. Même encore, moins qu’une esquisse parce qu’une esquisse est la première version d’une future œuvre tandis que la vie demeure l’esquisse de rien car dessinée qu’une seule fois. C’est d’ailleurs une prémisse en or pour un monologue. Mais pas aussi alléchante que : 

« Je vais prendre un cab. » Client d’un restaurant, en faisant référence à un cabernet sauvignon. Je me suis informé auprès de la serveuse s’il est considéré cool d’appeler un cabernet un « cab ». Semble-t-il que non. Très non.

L’auteur fait aussi état de la théorie du Einmal ist keimal. Qui suggère qu’une fois ne compte pas. Une fois n’est rien. Une fois, c’est jamais. Intéressant. Et plutôt pratique dans un plaidoyer de lendemain de veille.

Conversation impliquant le propriétaire d’un restaurant : 

— Un bel exemple de longévité, c’est Charles Aznavour.

— Ah, Charles ! Ben oui, Charles, y’est venu manger encore l’autre fois, t’sais, Charles…

Non. Même s’il a visité notre restaurant 10 fois, on n’appelle pas Charles Aznavour « Charles ». Sa femme ne l’appelle pas Charles.

À plusieurs moments, Kundera sort du récit en s’adressant directement au lecteur et retourne ensuite à l’histoire. Un peu comme le comédien qui parle à la caméra au milieu d’une scène. Cette double narration nous garde dans l’action. Parfois au moment où notre attention commence à regarder dehors, Milan surgit en disant : Hé ! Comprends-tu ce qui s’passe ? Me suis-tu ? Bon, on continue.

Couple, avenue Laurier : 

— Tu travailles tout le temps !

— C’est avec ça que je paye tes ongles, la grande !

Au-delà de l’histoire, on trouve plusieurs observations sur le comportement humain, mais de l’intérieur, sur le fonctionnement de l’instinct, des émotions. Ça s’appelle quand même l’insoutenable légèreté de l’être… On sort de là avec quelques bonnes réflexions sur le genre humain et on n’a pas tout à fait envie de se célébrer l’existence.

Et après, avenue Bernard, on entend : « Hé, le Bilboquet est ouvert ! Faisons la file sous la pluie pour de la crème glacée ! »

Et on se dit, ah… insoutenable légèreté de l’être…

Mais on fait aussi la file pour la crème glacée. Et on se retrouve avec un tour de taille d’un an…

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