Opinion : Société

Comment être québécois après le 29 janvier ?

Voilà une question qui se pose avec acuité au lendemain de la tragédie de Sainte-Foy. Pourquoi ces stéréotypes dégradants qui ternissent l’image de nos concitoyens musulmans et en font des marginaux malgré eux ? On ne parle pas ici de terroristes qui suscitent une crainte et un rejet légitimes. On parle de citoyens paisibles, intègres, attachés à leur famille, et qui ne demandent pas mieux que de s’intégrer à notre société. C’est ce que nous ont donné à voir ceux qui se sont exprimés, spontanément, sous le choc de l’horreur qu’ils venaient de vivre. Une démonstration édifiante d’une grande dignité.

Ils diffèrent des autres Québécois par leur histoire et leurs traditions. Ils diffèrent aussi par leur religion (ceux qui la pratiquent). Verrons-nous là des motifs admissibles d’exclusion ? Ils diffèrent enfin par quelques valeurs qui heurtent les nôtres, principalement la hiérarchie entre hommes et femmes et le rejet de l’homosexualité. Ici, il y a une véritable difficulté. Mais elle n’est pas insurmontable. Si notre société fait preuve d’ouverture et de patience, les mécanismes d’acculturation, institutionnels et autres, feront leur effet et on verra émerger un islam québécois plus flexible, de plus en plus accordé avec la norme québécoise.

On peut d’ailleurs anticiper que cette acculturation servira également la société d’accueil.

Car n’allons pas imaginer que la réalité de l’homosexualité et l’idéal de l’égalité hommes-femmes ont pénétré profondément la conscience de tous les Québécois et redéfini radicalement le fonctionnement de toutes nos institutions.

La redéfinition de l’identité québécoise afin de l’ouvrir à la diversité doit être perçue comme une autre opération d’adaptation et de révision, à l’image de celles que nous avons déjà effectuées avec succès dans le passé. Voici deux exemples de ces réaménagements, réalisés d’ailleurs simultanément à partir des années 60.

Le catholicisme constituait l’ossature de l’identité canadienne-française. Il a pourtant été évacué progressivement de notre référence identitaire. Parallèlement, et depuis un siècle, la nation recouvrait tout le territoire canadien, car nous percevions le Canada comme un État binational. Cette vision a été abandonnée elle aussi au profit d’une identité nationale restreinte au territoire québécois. Dans chaque cas, il y a eu de l’incompréhension et des résistances, mais les réorientations se sont imposées parce que des changements survenus dans notre société rendaient caduques les anciennes définitions. Et il y avait un important profit collectif à en retirer.

Nous sommes présentement engagés dans une opération analogue. La vision d’une identité nationale fondée sur le passé et sur l’homogénéité est contredite par la nouvelle réalité engendrée par la mondialisation et l’immigration. Pourquoi s’entêter à la combattre ? Par crainte de perdre nos traditions, notre culture ? Mais c’est à nous d’assurer l’avenir de notre langue, comme il nous revient de faire la promotion des valeurs forgées dans notre histoire et qui en sont le principal héritage.

Ici, le profit à escompter, c’est la promesse d’une culture plus riche, plus vivante et plus forte, ajustée à l’heure du monde où nous vivons.

C’est la voie la plus sûre, la plus viable et la plus susceptible d’assurer une véritable continuité à notre histoire dans les conditions présentes.

Décréter l’état de crise, crier au déclin, à la fin de notre civilisation et rejeter la diversité, c’est opter pour une résistance agressive et aigrie parce que sans avenir ; c’est choisir l’illusion, la division, le rapetissement et l’asphyxie. Et c’est faire obstruction à une réflexion qui mise sur l’avenir et non seulement sur le passé.

C’est ce message que nous devrions nous employer à diffuser vigoureusement et largement. Il devrait guider notre pensée, nos débats, nos choix collectifs et nos politiques. C’est un message simple, réaliste, modéré et sensé, le seul qui soit de nature à rassurer, rassembler et dynamiser notre société.

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