Chronique

Prêts pour un bond de 50 cents le litre d’essence ?

La conclusion de la conférence n’était pas très jojo. Pour atteindre ses cibles de réduction de gaz à effet de serre (GES), le Québec devrait voir le prix de l’essence grimper de 50 cents le litre !

Vu autrement, le prix de la tonne de carbone négocié sur le marché devrait être multiplié par 11, pour passer de 18 $ actuellement à quelque 200 $ !

Ces estimations ne viennent pas d’un quidam, mais du sérieux professeur de HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau, expert des questions environnementales et économiques. Jeudi, dans les locaux du CIRANO (1), M. Pineau a présenté en conférence les conclusions de son étude comparant les systèmes québécois et canadien de réduction de GES.

La question centrale : lequel des deux systèmes est le plus « rigoureux », c’est-à-dire le plus susceptible de réduire les GES, compte tenu du prix établi pour le carbone et de l’étendue de leur application aux divers secteurs de l’économie.

Conclusion : en 2020, les deux seront à peu près équivalents. Cette relative équivalence est un sujet de préoccupation du ministère des Finances du Québec, qui a commandé l’étude. En effet, en 2018, le fédéral implante son propre système de taxation du carbone partout au Canada, sauf dans les provinces qui offrent un système équivalent. Si le système provincial est moins exigeant, le fédéral sévira.

Une fois obtenus ces résultats – que je détaillerai plus loin –, Pierre-Olivier Pineau a estimé à quel prix le carbone devrait être fixé pour que les automobilistes et les entreprises modifient substantiellement leurs comportements de telle sorte que le Québec atteindrait ses cibles de réduction de GES à l’horizon 2030. La réduction des GES doit être d’environ 30 % d’ici 2030.

Pour ce faire, il a passé en revue les différentes analyses économiques concernant ce qu’on appelle l’élasticité-prix du carburant. Dit autrement : de combien devrait-on augmenter le prix de l’essence à la pompe pour que les automobilistes choisissent en grand nombre d’autres options que leurs voitures et que, ce faisant, la consommation d’essence diminue significativement.

Je vous fais grâce des calculs, mais essentiellement, le prix de l’essence devrait grimper à environ 1,60 $ le litre et le prix du carbone, à 200 $ !

Inutile de dire qu’on est loin du compte. Un seul pays dans le monde a un prix carbone qui s’approche de ce niveau (la Suède, à environ 165 $), et encore, ce prix s’applique seulement à certains types limités d’émissions de GES.

Maintenant, notre fameux marché du carbone SPEDE est-il meilleur que la taxe carbone RTFR de Trudeau (2) ?

D’abord, il faut savoir que le système de tarification du carbone canadien est plus étendu que celui du Québec. Il vise 88 % des émissions des divers secteurs économiques contre 83 % pour le système québécois. Les deux couvrent essentiellement les mêmes secteurs (transport, industries manufacturières, immeubles résidentiels, commerciaux, etc.), mais comme le poids de l’énergie dans l’émission de GES est plus important au Canada qu’au Québec, en raison du pétrole, le RTFR canadien couvre plus large.

En passant, les deux systèmes n’imposent aucunement le secteur agricole, qui contribue pourtant à 8-10 % des émissions de GES, ni celui des déchets (de 3 à 6 % des émissions).

Cela dit, lequel des deux systèmes se traduit par le prix le plus élevé pour le carbone ? En 2017, le marché du carbone (Québec, Californie, Ontario), qui s’apparente à un marché boursier, a établi un prix de près de 18 $ pour chaque tonne de carbone. Ce prix grimpera à 21,23 $ en 2020, prévoit l’étude.

Néanmoins, compte tenu des secteurs non couverts, le prix moyen pondéré des 80 millions de tonnes de carbone émises au Québec tombe à 13,49 $ la tonne. En comparaison, ce prix en 2020 sera de 17,84 $ avec le système canadien.

Le système québécois est donc moins exigeant ? Pas nécessairement. Pierre-Olivier Pineau fait valoir que les taxes sur l’essence sont plus gourmandes au Québec qu’ailleurs. Or, ces taxes ne sont pas prises en compte dans l’équation. Cette année, la taxe provinciale sur l’essence est de 19,2 cents le litre au Québec contre une moyenne de 16,48 cents dans les autres provinces.

Ces taxes plus élevées sur l’essence, qu’on pourrait apparenter à une taxe carbone, font grimper le prix moyen du carbone à 18,39 $ la tonne au Québec contre 17,84 $ avec le système fédéral. Bref, les deux mécanismes seront à peu près équivalents en 2020.

Précisons, toutefois, que le Québec s’impose un plafond d’émissions de GES chaque année, ce qui n’est pas le cas du fédéral. Ce plafond québécois diminue graduellement en se basant sur une réduction des GES de 37,5 % entre 1990 et 2030.

Cette diminution annuelle du plafond n’est pas sans conséquence. Chaque année, le gouvernement émet sur le marché des droits de polluer basés sur ce plafond réduit, et les entreprises doivent se battre pour se procurer aux enchères ces droits de plus en plus rares. Le gouvernement donne toutefois des droits gratuitement à certaines industries pour des questions concurrentielles.

Enfin, dernière chose : le Québec a des objectifs de réduction des GES plus ambitieux que le fédéral, bien qu’il soit la province qui émet le moins de GES au Canada par habitant. « On veut faire maigrir davantage le plus maigre », illustre Pierre-Olivier Pineau.

1. Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations

2. Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE) et Régime de tarification fondé sur le rendement (RTFR)

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