IMMOBILIER

Le chemin de croix des acheteurs

Une quinzaine d’offres pour un condo de 650 pi2. Des plex qui se vendent 100 000 $ au-dessus du prix demandé. Parfois payés comptant, sans aucune condition. Trouver une propriété dans le cœur de l’île de Montréal est loin d’être facile. Les acheteurs sont nombreux et l’offre est très mince. Témoignages.

« C’est inimaginable, ce que les acheteurs vivent en ce moment. Surtout les familles qui ont un plus petit budget. » Francisco Sanchez est courtier immobilier chez Via Capitale du Mont-Royal. Des acheteurs qui peinent à mettre la main sur la propriété qu’ils convoitent, il en côtoie beaucoup. « J’ai des clients qui viennent de voir leur quatrième offre sur un plex refusée en surenchère. Ils cherchaient d’abord à Montréal. Maintenant, ils se tournent vers Laval. »

Ces clients, ce sont Yann Janvier et sa conjointe, enceinte de leur deuxième enfant. Ils cherchent depuis plus de deux mois un duplex ou un triplex pour y loger leur famille. Résidants du Plateau Mont-Royal depuis plusieurs années, ils n’ont même pas envisagé ce quartier devenu beaucoup trop cher pour eux. Ils ont d’abord dirigé leurs recherches vers le Sud-Ouest, puis vers Ahuntsic, Hochelaga-Maisonneuve et, finalement, Laval-des-Rapides. Quatre offres d’achat plus tard, dont trois échecs au jeu de la surenchère, ils se retrouvent à la case départ. Leur dernière offre en date, pour un immeuble de Laval-des-Rapides, a failli être la bonne, jusqu’à ce que l’autre acheteur potentiel propose de payer comptant. « Chaque fois, on surenchérit, mais ça va au-delà de ce qu’on peut mettre », affirme Yann Janvier.

Le couple s’attendait à ce que sa quête soit difficile, mais pas à ce point. « La surprise est qu’il y a beaucoup de bâtiments qui sont en mauvais état, déplore M. Janvier. On a décidé qu’on était prêts à sortir de l’île de Montréal, mais on veut rester près d’un métro. On a le luxe d’avoir le temps. Si ça prend un an, un an et demi… »

Quatre ans de rechercHES

La patience commence à manquer à David Langis. Voilà maintenant quatre ans qu’il cherche un duplex dans le quartier Villeray. D’abord de façon intermittente, mais il a intensifié ses recherches au cours des six derniers mois.

« C’est de la démesure. Je ne peux pas considérer acheter un duplex en décrépitude à 900 000 $ dont le rez-de-chaussée, la surface habitable, est plus petit que mon condo au centre-ville. »

— David Langis

Par principe, il se refuse à faire des offres qui dépassent très largement le prix demandé. « Je me décourage de plus en plus. Je sais qu’il y a de la surenchère. Mais j’ai l’impression qu’il y a un zèle et une forme d’insouciance dans le marché. Je ne comprends pas la jungle que l’on vit en ce moment. »

Après avoir élargi son territoire et changé de courtier, il poursuit sa quête. « Je me dis que je vais peut-être tomber sur le coup de cœur qui va me faire perdre les pédales et la raison. Je ne veux pas que ce soit n’importe quoi et j’espère encore que ce soit dans l’île de Montréal. »

Adieu, Montréal

Quitter Montréal est ce à quoi se sont résignés Marie-Claude Montplaisir et son conjoint. Lorsque des jumeaux sont venus garnir les rangs de leur famille, il était évident que le condo qu’ils habitaient dans le quartier Rosemont était trop petit pour une famille de cinq. 

Après avoir déposé trois offres d’achat pour des propriétés à Montréal, ils ont traversé le pont un peu à contrecœur pour s’établir dans le Vieux-Longueuil. Un choix qu’ils ne regrettent pas aujourd’hui. « On a une maison, une cour, une piscine et quatre stationnements et ça nous a coûté 60 000 $ de moins que le condo qu’on avait à Montréal », note Marie-Claude Montplaisir.

Un marché chaud

C’était il y a deux ans. L’intensité du marché immobilier a grimpé encore d’un cran depuis et prend de court bien des acheteurs. « On se doutait un peu que ce serait difficile, mais pas à ce point, confie Jean-François Spinella, qui vient de faire l’acquisition, avec sa conjointe, d’un condo dans le Plateau Mont-Royal. Un mois et demi [de recherches], ce n’est pas tant que ça. Ce qui nous a dérangés, ce n’est pas la durée, mais l’intensité. On s’est fait refuser plusieurs fois. » « Même après avoir mis beaucoup plus que ce qui était affiché », précise sa conjointe, Pamela Mehanna. « On n’a pas fait le compte du nombre d’appartements qu’on a visités, mais c’était quasiment tous les soirs et tous les week-ends, ajoute Jean-François. À la fin, on a étendu [nos recherches] à quasiment tout Montréal. »

Plusieurs courtiers interrogés dans le cadre de ce reportage affirment n’avoir jamais vu un marché aussi chaud.

« Ce qu’on vit depuis 2018 dans ces secteurs que je couvre depuis 33 ans [le cœur de l’île], je n’ai jamais vu ça, aussi fou. »

— Marie-Josée Houde, courtière immobilière chez RE/MAX du Cartier

« Je n’ai jamais vu un si grand manque de stocks, ajoute-t-elle. Les vendeurs ne se décident pas à vendre parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils vont trouver. »

Des conditions qui tombent

Dans un marché aussi concurrentiel, oubliez les offres conditionnelles à la vente d’une propriété. Pour espérer remporter la mise, de nombreux acheteurs n’exigent même plus l’inspection du bâtiment dans leur offre d’achat. D’autres proposent de laisser tomber la garantie de qualité. Certains déposent une offre avant même d’avoir visité les lieux. Jean-François et Pamela ont renoncé à l’inspection à deux reprises. Yann Janvier regrette de ne pas l’avoir fait pour la dernière propriété qu’il a perdue. « À mon sens, la bâtisse était impeccable, souligne-t-il. À un moment donné, c’est à la guerre comme à la guerre. Il faut prendre un peu de risques. »

« On ne peut pas recommander ça à nos clients, dit Maxime Tardif, courtier immobilier chez Royal LePage Altitude. On leur fait un portrait du genre d’offres compétitives qu’il risque d’y avoir. À eux de faire un choix. Il y a des acheteurs, ça fait huit maisons qu’ils perdent. Ils la veulent, la maison. Ils sont rendus là. »

Qu’est-ce qui explique cette folie dans laquelle se trouvent les acheteurs en ce moment ? Le manque de stocks, autant du côté des unifamiliales que du côté des plex et des condos. À Montréal, le nombre d’inscriptions était en baisse de 15 % au premier trimestre de 2019 par rapport à la même période en 2018. Résultat : beaucoup d’acheteurs se battent pour les mêmes propriétés.

Selon le directeur du service de l’analyse du marché de la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ), Yanick Desnoyers, la vigueur de l’économie, le bas taux de chômage et les faibles taux d’intérêt font en sorte que les acheteurs sont confiants et nombreux sur le marché. « Les gens se disent : les taux sont bas et vont rester bas, explique-t-il. Et chaque fois que je remets à plus tard ma décision d’acheter, je paie plus cher. »

Un conseil pour ceux qui viennent d’arriver sur le marché ? « Ne pas se décourager, parce que ça ne va pas être facile », lance Pamela Mehanna.

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