Opinions Langues officielles

Le silence plutôt que le bilinguisme

Au Canada, comment un tribunal fédéral pourrait-il se soustraire à l’obligation légale de traduire toutes ses décisions dans les deux langues officielles ? Il semble que des fonctionnaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) aient trouvé la réponse. Il suffit de ne pas publier les décisions !

Cette trouvaille serait géniale et ferait mériter à ses braves auteurs un quelconque prix Nobel, si ce n’est qu’elle viole tant l’esprit que la lettre de la Loi sur les langues officielles ainsi que – mais ce n’est qu’un détail – des principes de justice aussi élémentaires qu’universels.

Elle prive aussi d’éventuels revendicateurs du statut de réfugié et leurs avocats et défenseurs, anglophones ou francophones, de la jurisprudence qui est le fondement même du séculaire système juridique de common law.

Ce n’est pas la première fois que la CISR doit être rappelée à l’ordre. Dans l’arrêt Devinat c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié) [2000] 2 CF, 212, infirmant le jugement rendu par le juge Marc Nadon de la Section de première instance, la Cour d’appel fédérale citait le juge Bastarache de la Cour Suprême du Canada : 

« L’objectif de protéger les minorités de langue officielle, exprimé à l’article 2 de la Loi sur les langues officielles, est atteint par le fait que tous les membres de la minorité peuvent exercer des droits indépendants et individuels qui sont justifiés par l’existence de la collectivité. Les droits linguistiques ne sont pas des droits négatifs ni des droits passifs ; ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. Cela concorde avec l’idée préconisée en droit international que la liberté de choisir est dénuée de sens en l’absence d’un devoir de l’État de prendre des mesures positives pour mettre en application des garanties linguistiques. […]

En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable. Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien. Quand on instaure le bilinguisme institutionnel dans les tribunaux, il s’agit de l’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles au Canada. » (R. c. Beaulac, [1999] 1 RCS, pages 788 et 7990

En 2005, à l’initiative du Québec, le Canada a été le premier de 133 pays à ratifier la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. La culture et la langue du Québec sont une grande richesse, notamment pour le Canada. Il ne faudrait pas l’oublier.

Le recteur d’une célèbre université américaine affirmait facétieusement : « Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance ! » En le paraphrasant, on pourrait dire : « Si vous pensez que le bilinguisme coûte cher, essayez l’unilinguisme ! »

La CISR a adopté une politique linguistique aberrante et obscurantiste qui insulte l’intelligence. Et le gouvernement Harper la cautionne. À nous de les éclairer !

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.