TOURNAGES

Un guichet unique pour porter plainte

Une affiche qui sera placardée sur tous les plateaux de tournage est prête depuis hier, alors qu’un guichet unique venant en aide aux victimes d’inconduite sexuelle, L’Aparté, vient tout juste d’entrer en fonction. Deux actions qu’ont prises une quarantaine d’organismes et d’associations professionnelles artistiques du Québec pour contrer les inconduites sexuelles et le harcèlement psychologique, un an après le début du mouvement #moiaussi.

Le mouvement #moiaussi a changé les lieux de travail et milieux culturels du Québec. Finie, la loi du silence. Un guichet unique indépendant, confidentiel et gratuit appelé L’Aparté vient d’entrer en fonction et permet aux victimes de porter plainte en cas d’inconduite sexuelle ou de harcèlement.

Me Sophie Gagnon, directrice générale de la clinique juridique Juripop, confirme que L’Aparté répond déjà à un grand besoin. « Le téléphone sonne et notre avocate [Virginie Maloney] est déjà occupée à temps plein », expose la directrice générale de l’organisation mandatée par l’Union des artistes (UDA) pour créer et gérer le guichet unique. Le site web de L’Aparté est en ligne depuis le 4 septembre dernier.

« Le service est confidentiel et gratuit », souligne Sophie Prégent, présidente de l’UDA, qui insiste sur l’indépendance de L’Aparté.

« C’était clair dans ma tête dès le début qu’il fallait que ce soit un mécanisme neutre entre les acteurs, les producteurs, les réalisateurs et les techniciens. Il fallait une distance par rapport aux associations professionnelles », souligne Mme Prégent, qui a mis en branle l’idée d’un guichet unique dès octobre 2017.

Un code de conduite commun

De l’ADISQ au Regroupement québécois de la danse en passant par l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), 44 associations ou regroupements professionnels sont aussi derrière un même code de conduite.

L’UDA a par ailleurs fourni à La Presse une affiche prête depuis hier qui sera mise bien en évidence sur les lieux de travail des 44 groupes. « C’est une initiative qui nous permet d’intervenir », indique Mylène Cyr, directrice de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ).

L’affiche décrit les cinq « éléments cumulatifs » du harcèlement et indique quoi faire si cela se produit.

« L’affiche sera en évidence partout sur les lieux de tournage, mais aussi dans les studios de musique, les musées, les locaux de danse, etc. », indique Sophie Prégent.

Un nouveau code d’éthique chez les réalisateurs

Il y a un an, un flou existait à savoir ce qu’étaient du harcèlement ou des inconduites. Le code de conduite permet de « tracer une ligne ».

Mylène Cyr est entrée en poste à la direction générale de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec quelques mois avant que le mouvement #moiaussi éclate. Elle ignorait tout le travail qui l’attendait. « Tout ce qu’on a réussi en un an est assez exceptionnel », souligne-t-elle.

« Nous avons établi un code d’éthique qui englobe des valeurs de respect, de civilité et d’intolérance envers toute forme de harcèlement », indique-t-elle.

Ce code d’éthique se retrouve maintenant dans le formulaire d’adhésion de l’ARRQ. « Il est aussi sur notre site. »

« Nous avons créé un comité d’éthique et de gouvernance, ajoute Mylène Cyr. Dans les ententes collectives, les dispositions sur le harcèlement sont aussi devenues incontournables. Avant, c’étaient des processus généraux. Là, il est clairement indiqué ce qu’il faut faire en cas de harcèlement. »

Réponse à un grand besoin

En mars dernier, Québec a annoncé l’octroi de 900 000 $ pour lutter contre l’inconduite sexuelle dans le milieu de la culture. Un « petit milieu » où les travailleurs contractuels sont particulièrement vulnérables et peut-être moins enclins à dénoncer, avait alors fait valoir la ministre de la Culture et des Communications, Marie Montpetit.

L’Institut national de l’image et du son (INIS) a reçu les deux tiers de cette somme pour créer des formations offertes à l’ensemble du secteur culturel.

Le reste a été remis à l’Union des artistes, qui a mandaté la clinique juridique Juripop pour créer le guichet unique qui est devenu L’Aparté.

Au cours de la dernière année, Juripop – organisme à but non lucratif qui favorise l’accès à la justice pour tous – a tenu quatre journées d’ateliers juridiques et sociaux pour accompagner les personnes victimes du milieu culturel.

« Au total, on a aidé quelques centaines de personnes », indique la directrice Sophie Gagnon.

Juripop a répondu à des questions de toutes sortes : « Est-ce que je peux porter plainte si c’est arrivé il y a 10 ans ? Est-ce que je peux porter plainte si j’étais seule avec l’agresseur sans témoin ? Si c’est un procès criminel, est-ce que je vais devoir payer ? Est-ce que mon identité va rester confidentielle ? On s’interroge beaucoup sur le processus judiciaire », expose-t-elle.

Il y a eu des résultats concrets. « Une personne qui, après avoir fait une ou des rencontres avec un avocat et une intervenante, a exprimé le désir de faire une dénonciation à la police. Et la police s’est rendue disponible immédiatement », souligne l’avocate.

Une autre journée d’atelier se déroulera par ailleurs le 3 octobre de 16 h à 21 h dans les bureaux montréalais du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC).

« Ce qui m’a marquée dans la dernière année, c’est l’impact de la collaboration multidisciplinaire entre les avocats et les intervenants sociaux, note Sophie Gagnon. C’était holistique. Les avocats sont sortis mieux outillés face aux déversements émotionnels, alors que les intervenants ont appris des informations juridiques. »

Un an après le début de la vague #moiaussi, Mylène Cyr, Sophie Prégent et Sophie Gagnon sont fières du long chemin parcouru.

« C’est impressionnant de voir le nombre d’acteurs qui ont été mobilisés, dit Me Gagnon. Des gens qui ne sont pas habituellement assis autour de la même table. Des syndicats et des associations de travailleurs qui collaborent main dans la main avec des producteurs et des réalisateurs. Un tel front commun illustre l’importance de l’enjeu. »

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