Montréal

Les manifestants pourront porter un masque

La Cour supérieure invalide une partie du règlement P-6, adopté par Montréal dans la foulée des manifestations étudiantes de 2012

Les manifestants ont le droit de se couvrir le visage pour protester, a tranché la Cour supérieure, qui invalide une partie du règlement P-6 de la Ville de Montréal qui a suscité de vives controverses.

En mai 2012, au sommet d’un mouvement d’intenses manifestations étudiantes, la métropole avait resserré ses règles encadrant les rassemblements publics. L’administration de Gérald Tremblay voulait obliger les participants à fournir leur itinéraire à l’avance et interdire le port du masque.

L’une des figures de proue des manifestants à Montréal, Julien Villeneuve, mieux connu sous le nom d’Anarchopanda, a contesté la légalité de ces modifications apportées au règlement municipal P-6. Quatre ans plus tard, la juge Chantal Masse de la Cour supérieure vient de lui donner en grande partie raison.

Dans son jugement de 124 pages, elle invalide l’article qui interdisait aux manifestants d’avoir le visage couvert. Elle souligne que cette règle, très large, englobait « les activités tout à fait innocentes tel le fait de circuler en groupe sur le domaine public à l’occasion de l’Halloween ou de se trouver à plusieurs dans un parc à l’occasion d’une partie de balles de neige par une froide journée d’hiver ». Même dans ces contextes, le fait de porter un masque pour se déguiser ou une cagoule ou un foulard pour se protéger du froid pourrait motiver une arrestation, souligne-t-elle.

La juge a aussi invalidé la disposition forçant les gens à fournir leur itinéraire à l’avance lorsqu’il s’agissait de « manifestations instantanées », article qui a été fréquemment invoqué pour déclarer illégaux des rassemblements.

La juge définit une manifestation instantanée comme un rassemblement ayant un caractère urgent, comme un défilé improvisé à la sortie d’un événement sportif. Il peut s’agir aussi d’un rassemblement qui est le fruit d’une coïncidence, n’ayant pas été annoncé « par les réseaux sociaux, l’affichage ou la distribution de tracts ou, simplement, en se passant le mot ». Elle cite l’exemple de personnes qui convergent vers un endroit pour manifester contre la présence d’une personnalité controversée.

La juge estime que les changements apportés par Montréal en mai 2012 ont été conçus dans la hâte. Or, « les contextes d’urgence se concilient difficilement avec la rédaction soigneuse que requièrent des dispositions portant atteinte à des droits fondamentaux. Deux fois plutôt qu’une, le règlement P-6 a été le fruit d’une réflexion limitée en raison du contexte social agité », écrit la juge Masse.

DES « RESSOURCES GASPILLÉES »

Projet Montréal, qui s’était opposé aux modifications, a salué le jugement. « Nous avons toujours été convaincus que ce règlement serait invalidé par les tribunaux, et c’est ce qui vient d’arriver », s’est réjoui le conseiller de l’opposition Alex Norris.

« Nous ne pouvons que déplorer que tant de ressources policières et judiciaires aient été gaspillées à cause de l’entêtement des administrations Tremblay et Coderre. »

— Alex Norris, conseiller de l’opposition

Québec solidaire aussi a salué le jugement. « C’est une excellente nouvelle de voir des dispositions de ce règlement liberticide être abolies par la Cour supérieure du Québec. P-6 aura porté atteinte aux libertés d’expression et de réunion des citoyens et citoyennes pendant bien trop longtemps », a déclaré le député Amir Khadir.

Le maire de Montréal, Denis Coderre, a indiqué que les avocats de la Ville analyseraient la décision, mais ne voit pas pourquoi des manifestants voudraient se masquer. « On a la liberté d’expression », a-t-il dit.

Le jugement souligne que l’année 2012 a été mouvementée, avec pas moins de 711 manifestations. Durant celles-ci, 77 policiers et 248 manifestants avaient été blessés.

CHRONOLOGIE

PRINTEMPS 2012 

Des centaines de milliers d’étudiants manifestent contre la hausse des droits de scolarité annoncée par le gouvernement.

MAI 2012

Théâtre de la plupart des manifestations, Montréal modifie son règlement sur la paix et le bon ordre (mieux connu comme P-6) pour interdire le port du masque et obliger les manifestants à fournir leur itinéraire à l’avance.

AVRIL 2013

Les oppositions à l’hôtel de ville s’allient pour faire annuler les changements au règlement P-6, sans succès.

FÉVRIER 2015

Un juge de la Cour municipale de Montréal écorche la Ville dans un jugement acquittant trois personnes accusées en vertu de P-6. La métropole retire près de 2000 dossiers devant les tribunaux en raison de cette décision.

JUIN 2016

La Cour supérieure invalide l’interdiction du masque et ouvre la porte à des manifestations spontanées sans itinéraire fourni d’avance.

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