Aide médicale à mourir

Quatre médecins, quatre réflexions

L’aide médicale à mourir deviendra une réalité concrète dans trois mois dans tout le réseau de santé du Québec. Au terme d’une longue réflexion, certains médecins ont statué qu’ils pourraient accepter d’entreprendre la procédure prévue par la loi à l’endroit d’un patient qui le leur demanderait. Quatre d’entre eux nous expliquent pourquoi.

DAVID LUSSIER GÉRIATRE

Institut de gériatrie de Montréal

Dans sa pratique quotidienne, le médecin est surtout confronté à des patients inaptes, ou alors à des patients aptes, mais qui ne se trouvent pas en fin de vie. Or, ces deux clientèles sont écartées du nouveau processus. « Cependant, si un patient répondait aux critères de la loi, je n’aurais pas d’objection de conscience », dit-il.

Cette décision a été mûrement réfléchie. « Je crois qu’il faut respecter l’autonomie du patient. Le médecin n’est pas le gardien de la vérité. Il faut l’écouter. »

Cependant, il croit qu’une demande d’aide médicale à mourir est d’abord « un appel à l’aide ». La plupart des patients changeront d’idée s’ils reçoivent les soins adéquats, estime-t-il.

Une telle demande le confronterait à un poids moral très lourd, avoue-t-il. « C’est quelque chose qui n’est pas banal. On ne l’a jamais fait. C’est grave et irrémédiable. Personne ne va faire ça dans la joie et l’allégresse. »

Si peu de médecins acceptent d’administrer la procédure, ne craint-il pas d’être très sollicité ? « Je n’ai pas du tout l’intention de porter l’étendard et de le faire pour tous les patients. Si le médecin traitant refuse, je ne peux pas croire que dans un CISSS, on ne trouvera pas un médecin pour le faire. Il va y avoir une petite liste, probablement informelle, de médecins qui acceptent ».

Selon lui, l’opposition à la pratique va s’amoindrir. « Dans les autres pays, une bonne proportion de médecins étaient contre et maintenant, la majorité accepte de le faire. J’ai confiance que ce soit le cas au Québec. »

LOUIS ROY CHEF DU SERVICE DES SOINS PALLIATIFS

Centre hospitalier universitaire de Québec

Contrairement à ses collègues du CHUM, le docteur Roy autorisera les patients hospitalisés dans son service à recevoir l’aide médicale à mourir. « Les locaux du CHU sont publics. Tout le monde y a accès. Quelqu’un qui est hospitalisé en soins palliatifs, sa demande sera traitée et le patient ne sera pas transféré. On ne déménagera pas le patient. »

La loi 52 a été adoptée, elle rallie un large consensus dans la population, constate-t-il. « Il faut respecter ça. » Mais ce sera un soin rarissime, croit-il.

Et s’il était personnellement confronté à cette demande, que répondrait-il au patient ? « C’est une très grande question. La réponse ne peut pas être blanche ou noire. Avant d’aller à cette dernière alternative, ma question serait : est-ce qu’on a tout fait pour le soulager ? Suite à ça, je verrai. Ce serait une décision déchirante, dit-il. Mais je n’aurais pas d’opposition de principe. »

Devant une demande d’aide médicale à mourir, les médecins devront faire preuve de la plus grande prudence. « Est-ce la solution du médecin ou du patient ? Si c’est la solution du médecin, il y a lieu d’en référer à un collègue et de demander conseil. Il faut se demander : est-ce que je choisis la fuite devant une situation que j’ai de la difficulté à vivre ? »

Les médecins qui accepteront de prodiguer l’aide médicale à mourir choisissent généralement la discrétion, admet-il. « J’ai des collègues qui m’en ont parlé et qui se disent oui, je serais prêt à considérer. Personne ne veut avoir de ligne de piquetage dans un établissement. »

ALAIN VADEBONCOEUR CHEF DU SERVICE DE MÉDECINE D’URGENCE

Institut universitaire de cardiologie de Montréal

Il y a deux ans, l’urgentologue a rédigé un texte sur son blogue où il imaginait être confronté à un patient qui lui demanderait de l’aider à mourir. Le texte s’intitulait : « J’ai tué mon patient ». « Je ne sais pas si je pousserais sur le piston de la seringue, écrivait-il. Mais je vais continuer à y réfléchir. »

Après tout le débat sur l’aide médicale à mourir et l’adoption de la loi 52, le docteur Vadeboncoeur serait maintenant prêt à dire oui à un tel patient. « Ce serait une décision pas évidente. Mais je pense que je dirais oui. C’est la chose à faire. Qui sommes-nous pour lui refuser ça ? »

Appuyer sur le piston de la seringue lui ferait-il peur ? « Oui. C’est très particulier comme contexte. Qu’est-ce que ça produirait chez moi comme impact ? Je l’ignore. »

« Mais pour nombre de patients à l’urgence, on arrête les manœuvres de réanimation. Ça n’est pas très différent d’un patient en fin de vie qu’on aide à s’en aller de façon plus acceptable. »

Évidemment, à titre d’urgentologue œuvrant dans un hôpital spécialisé en cardiologie, il y a peu de chance qu’il reçoive une telle demande. Néanmoins, des médecins comme le docteur Vadeboncoeur pourraient être sollicités dans les premiers temps comme volontaires dans leur centre de santé.

« La majorité des médecins est favorable au principe, mais ce n’est pas la majorité qui va être prête à passer à l’acte. Il pourrait y avoir des difficultés dans la première année. »

Le docteur Vadeboncoeur déplore l’omerta qui s’est installée chez une certaine partie du corps médical. « Je connais des médecins en soins palliatifs à qui on a dit de fermer leur gueule parce qu’ils allaient à l’encontre de ce courant-là. »

DOCTEUR X MÉDECIN EN SOINS PALLIATIFS

Œuvre dans plusieurs établissements

Le docteur X nous a posé une condition : il réclamait l’anonymat le plus strict. « Ce n’est pas facile d’en parler. Le débat est trop émotif. »

Le médecin œuvre, depuis plusieurs années, dans divers établissements, toujours en soins palliatifs. Si un patient lui en faisait la demande, et si les conditions prévues à la loi étaient réunies, il dirait oui. « Si c’est la volonté du patient, c’est la loi, et il y a un consensus. »

Depuis le début de ce débat, ce praticien se tait. Parce que son opinion va à l’encontre de celle qu’expriment publiquement la majorité des collègues qui œuvrent en soins palliatifs. « Je ne suis pas contre. Je n’ai jamais été contre. »

Ce médecin craint, s’il s’affiche, d’être marginalisé par ses collègues, voire démonisé. « Peu de médecins vont en parler ouvertement. »

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