OPINION

RÉNOVATION
Une norme qui risque de perpétuer la fraude

L’Association des microbiologistes du Québec (AMQ) souhaite depuis longtemps un encadrement adéquat des pratiques d’évaluation et de décontamination des habitations aux prises avec des problèmes de moisissures pour mieux protéger le public.

C’est donc avec beaucoup d’intérêt que l’AMQ a accepté, en mai 2017, de participer à l’élaboration d’une norme du Bureau de normalisation du Québec (BNQ) sur l’importante question de la contamination des habitations par les moisissures – Investigation et réhabilitation du bâtiment (projet 3009-600-8).

Malheureusement, la première ébauche du projet de norme soumis à des consultations publiques le 4 décembre 2018 fait fi de l’expertise unique des microbiologistes pour l’évaluation fiable des cas de contamination par les moisissures. Dans sa forme actuelle, le projet de norme propose un statu quo qui laisse la porte ouverte aux fraudeurs et aux arnaqueurs que l’AMQ dénonce depuis des années dans le domaine de la rénovation.

À la première lecture, le projet nous a surpris par son manque de solutions et d’approche scientifique.

Ces dernières années, les phénomènes météo extrêmes telles les inondations du printemps 2017 dans plusieurs régions du Québec ainsi que les températures hivernales particulièrement froides, voire glaciales, ont eu pour effet d’accroître les conditions favorables au développement des moisissures dans nos maisons.

Prétendus experts

L’AMQ a d’ailleurs constaté des impacts négatifs directs sur les habitations et cet accroissement des cas de contamination, en l’absence d’un encadrement ou de lignes directrices, a malheureusement profité à des entrepreneurs peu scrupuleux.

Durant trop longtemps, la table était mise pour une multiplication de prétendus experts et spécialistes autoproclamés dont les services et les fausses évaluations dans le domaine de la moisissure et des champignons ont permis de soutirer des sommes importantes à leurs victimes. Ces individus non qualifiés dans le domaine de la microbiologie ont pu, en toute impunité, profiter de l’inquiétude des gens pour les frauder, leur offrir des solutions inutiles ou encore exagérer la situation réelle.

Pour l’AMQ, il ne fait aucun doute que la contamination d’une habitation par des moisissures est un phénomène de nature microbiologique qui se produit lorsqu’il y a des conditions favorables à leur prolifération (ventilation déficiente, infiltration d’eau, humidité excessive, etc.). Une telle contamination peut avoir de graves conséquences sur la santé des occupants et la solution ne doit pas être improvisée par n’importe qui.

L’observation d’une contamination fongique et la réhabilitation subséquente du bâtiment contaminé nécessitent une expertise en microbiologie et en science du bâtiment.

Or, pour des raisons difficilement compréhensibles, le BNQ semble résolu à ne pas tenir compte de l’expertise des microbiologistes dans le domaine alors qu’en pratique, ceux-ci travaillent en collaboration avec les professionnels du bâtiment tels que les architectes et les ingénieurs.

Les microbiologistes emploient des méthodes scientifiques pour identifier les moisissures, évaluer leur présence dans un environnement et déterminer s’il y a des conditions favorables à leur développement. Ils sont aussi parmi les mieux outillés pour recommander les stratégies de décontamination les plus adaptées, encadrer l’élimination sécuritaire des moisissures et identifier les risques possibles pour la santé des individus.

Aucune compétence particulière

À ce stade-ci des travaux, nous sommes préoccupés par le peu de place faite aux microbiologistes dans les solutions avancées par le projet de norme. Au lieu de leur confier les aspects qui relèvent naturellement de leurs compétences professionnelles, le projet de norme du BNQ propose plutôt de remplacer les microbiologistes par les gants blancs, l’œil aiguisé et l’odorat développé d’un enquêteur chez qui aucune formation précise ni compétence particulière en microbiologie ne serait exigée.

Cette importante norme doit servir de référence pour des années à venir, répondre aux enjeux sur le terrain et aux besoins de la population.

Une norme qui veut plaire aux modèles d’affaires des entreprises en construction et en rénovation, qui n’inclut pas de véritables experts sur les moisissures et qui ne reconnaît pas toute la valeur ajoutée des analyses microbiologiques ne fera rien pour freiner les entrepreneurs véreux et autres experts autoproclamés ou non formés.

Il n’est pas trop tard pour corriger le tir. Il faut éviter que la norme rate son objectif de renforcer la protection du public face aux stratagèmes frauduleux dans le milieu de l’observation et de la décontamination d’habitations aux prises avec des problèmes de moisissures. Les microbiologistes font partie de la solution.

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