À ma manière

Le militaire qui avait du savoir-vivre

L’aventure : un spécialiste en télécommunications militaires fonde deux entreprises de techno domestique. La manière : mettre à profit les vertus militaires de respect et d’écoute. Oui, oui, tout à fait.

Sur la vingtaine d’employés de son entreprise de domotique Homesync, Joseph Kadé a engagé une quinzaine d’anciens militaires.

Pas pour leurs vertus guerrières, mais plutôt pour leur capacité à établir de bonnes relations avec les clients.

Son entreprise installe à domicile des systèmes de domotique – ces systèmes programmables qui gèrent les fonctions de la maison.

On ne songe pas d’emblée aux féroces guerriers pour une carrière dans le service aux consommateurs ? Tss-tss, préjugés et incompréhension…

« La domotique, on ne l’apprend pas à l’école, explique Joseph Kadé. Le critère numéro un, avec le marché dans lequel on doit travailler, c’est l’attitude et la personnalité. Ensuite viennent les compétences. Je me suis entouré de militaires. Qui de mieux ? »

Sortir de sa réserve, entrer dans la Réserve

Lui-même militaire, Joseph Kadé a quitté la réserve de l’armée canadienne il y a deux mois à peine. Pendant 14 ans, il a consacré une journée par semaine et une fin de semaine par mois à ses activités militaires, en sus de son emploi à temps plein dans le civil.

Il s’était engagé au milieu de ses études en génie électrique à l’École Polytechnique.

C’était en 2002, dans le contexte d’incertitude qui a suivi les attentats du World Trade Center.

Le natif de Montréal a voulu « servir, un peu ».

« Je le dis en étant très humble, parce qu’à cet âge-là, on ne connaît pas tout le contexte politique, mais évidemment, c’était le sujet de l’heure. Et pour moi, c’était naturel de dire : je suis capable d’aider, alors pourquoi pas ? »

Pendant que ses confrères d’études « faisaient des stages chez Pratt & Whitney, Bombardier ou autres, [lui] était en mission ou en formation militaire », raconte-t-il.

L’art du meneur

Le jeune homme est officier dans la section des télécommunications. Appelé à commander des militaires plus âgés que lui, il apprend vite l’art de mener des troupes.

« C’est sûr qu’il y a la doctrine militaire qui explique noir sur blanc comment un leader devrait se comporter. Mais pour moi, il y a deux choses. Premièrement, on doit évidemment montrer l’exemple, et agir en conséquence. Et l’autre côté de la médaille, c’est d’être à l’écoute. Être à l’écoute des gens, des besoins, comprendre comment l’équipe peut te rendre un meilleur leader. »

Il a aussi retenu cet adage militaire, dont il a fait sa devise : le plus grand risque n’est pas de prendre une mauvaise décision, mais de ne pas prendre de décision.

Discipline militaire

L’homme est cependant un entrepreneur dans l’âme. En 2009, il fonde Homesync, alors qu’il travaille chez Bell.

« Je savais qu’il allait y avoir un virement assez important dans le marché. Je le voyais venir. J’ai lancé l’entreprise à temps partiel, dans mon sous-sol. »

— Joseph Kadé

Il adopte aussitôt une discipline martiale – on ne se refait pas.

« Tôt les matins, je me levais, comme un militaire. Je chargeais les camions, j’allais porter l’équipement, j’engageais des sous-traitants pour faire l’installation et la programmation. Le soir, je retournais pour faire le bilan, ramasser les boîtes vides, faire le tour de la maison avec le client. »

Recruter dans l’armée

Il tient ce rythme pendant trois ans, jusqu’en 2012. Il quitte alors son emploi pour se consacrer à temps plein à l’entreprise, avec le plein soutien de sa femme, qui vient d’accoucher de leur premier enfant.

Il recrute une partie de ses employés chez les membres de son unité de la réserve.

« Ce sont des gens structurés, disciplinés, et surtout, respectueux, décrit-il. Lorsqu’on entre chez quelqu’un, c’est probablement le critère le plus important. Il s’agit de ne pas entrer avec des bottes sales, d’être courtois, d’expliquer le contexte au client, de le mettre en confiance. C’est 100 % ce qu’on apprend dans l’armée. »

Bref, ces militaires investissent les domiciles avec civisme et politesse.

Des héros patentés

En 2016, Joseph Kadé lance un nouveau service, qui « prend encore une fois sa source dans [leurs] racines militaires ».

Il a observé un besoin : les objets branchés se multiplient, mais le consommateur est souvent dépassé par la complexité de leur installation.

Il avait connu les mêmes tourments durant sa jeunesse. « Quand j’avais besoin d’aide avec mon ordinateur, j’appelais mes amis. La personne qui venait m’aider, je lui aurais donné un gros bec. C’était comme mon héros. »

L’affectueux militaire en tire l’idée d’un service qui mettrait en contact des techniciens indépendants et des consommateurs en détresse – une sorte d’Uber du coup de pouce technologique.

Il rassemble un peloton de cinq personnes, qui s’attaque à la conception d’une plateforme interactive sur le web.

Avec l’application gratuite, le consommateur peut y inscrire une demande de soutien technique, en indiquant le lieu et ses heures de disponibilité. Il choisit ensuite l’offre de service la plus avantageuse parmi celles que lui ont soumises les techniciens intéressés.

Médailles

Joseph Kadé y a ajouté un programme d’évaluation des techniciens par leurs clients, auquel il a donné une petite touche militaire.

« Quand les techniciens, qui s’appellent des héros sur la plateforme, reçoivent des bonnes évaluations des clients, ils méritent des médailles. Comme dans l’armée. »

— Joseph Kadé

Combinez héros et pin – prononcez « pinne », décoration militaire en anglais – et vous obtenez le nom du service : HeroPin.

Ces médailles sont graduées des niveaux 1 à 5, auxquels s’ajoutent des décorations de performance, comme le héros Cinq étoiles et le héros Ambassadeur.

Ce serait l’équivalent approximatif d’une grand-croix de l’Ordre de la souris écarlate, avec palmes numériques et citation pour le mérite informatique.

Pour les techniciens qui souhaitent se hisser dans la hiérarchie, « ça devient un jeu », dit-il.

Nouvelle offensive

La plateforme HeroPin a été lancée le 15 août 2016.

L’entreprise encaisse 20 % des honoraires du technicien, dont le quart (5 %) est consacré aux frais de cartes de crédit et d’administration.

À la mi-décembre, un peu plus de 600 ententes de service avaient été conclues. La plateforme comptait alors plus de 260 techniciens dans les régions de Montréal, Québec et Ottawa.

Joseph Kadé veut maintenant étendre ses services ailleurs au Canada.

Sans surprise, il décrit ses objectifs avec des termes militaires. « On va cibler des villes et des régions stratégiques, dans lesquelles le ratio héros/client devient intéressant », informe-t-il.

On le sait, l’argent est le nerf de la guerre : il cherche du financement pour lancer son offensive.

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