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Une fierté dépolitisée ?

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La façade de l’immeuble patrimonial de l’avenue de l’Esplanade sera sauvée.

Dans un avis délivré vendredi, obtenu par La Presse, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) autorise la démolition du bâtiment décrépit, mais exige que les pierres grises de la façade soient numérotées, démantelées par des experts en restauration de maçonnerie ancienne et entreposées dans un lieu sécurisé sous la responsabilité de la Ville de Montréal.

« L’immeuble de remplacement devra reprendre les caractéristiques architecturales du bâtiment à démolir, à savoir, notamment : l’implantation, la hauteur, la composition, l’ordonnance des ouvertures, les balcons, les matériaux et la volumétrie. Les pierres de la façade devront être remontées en place pour faire partie intégrante de l’immeuble de remplacement », précise le Ministère.

OUTRAGE AU TRIBUNAL

Une fois le permis de la Ville obtenu, le propriétaire de la bâtisse, Guy Desrosiers, devra effectuer les travaux rapidement, sous peine d’outrage au tribunal.

« C’est une bonne nouvelle pour la sécurité des voisins », affirme le conseiller municipal du Plateau-Mont-Royal et maire par intérim de l’arrondissement, Alex Norris. 

« D’après les fonctionnaires de l’arrondissement, M. Desrosiers comprend ses responsabilités et l’urgence de procéder aux travaux. »

— Alex Norris 

Cet immeuble, situé en face du parc Jeanne-Mance, au 4413-4423, avenue de l’Esplanade, est dans un état de délabrement avancé. Il est vide depuis l’expulsion des locataires, en 1996, en raison d’insalubrité. Un périmètre de sécurité est érigé sur le trottoir depuis 2008, il y a plus de 10 ans.

EFFONDREMENT PARTIEL

Le 21 mai dernier, ce qui devait arriver arriva : la partie arrière de l’immeuble s’est effondrée partiellement, provoquant l’intervention des pompiers et l’évacuation d’une quarantaine de résidants de l’avenue de l’Esplanade et de la rue Saint-Urbain.

M. Desrosiers, qui habitait avec sa femme au rez-de-chaussée de l’immeuble voisin, au 4403, avenue de l’Esplanade, dont il est aussi propriétaire, a été arrêté pour voie de fait et entrave au travail des policiers parce qu’il refusait de partir. Depuis, ce bâtiment, lui aussi en piteux état, est placardé et protégé par une clôture.

Ce n’est pas d’hier que l’homme de 73 ans se dispute avec la Ville au sujet de ses immeubles acquis en 1978 dans une des plus belles rues de Montréal. Plaintes de voisins, avis de non-conformité à la réglementation municipale, constats d’infraction, évictions, injonction, jugement… Les problèmes durent depuis 1984.

JUGEMENT

Dans une décision rendue le 7 septembre 2018, la juge Claude Dallaire, de la Cour supérieure, a ordonné au propriétaire de démolir le plus délabré des deux immeubles, celui situé au 4413-4423, avenue de l’Esplanade, au plus tard 45 jours après avoir obtenu le permis de la Ville et l’autorisation du ministère de la Culture et des Communications en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.

M. Desrosiers a déposé une demande de permis à la Ville, mais ce permis n’a pu être délivré, faute d’autorisation du Ministère.

Le propriétaire proposait de démolir la façade et d’intégrer les pierres dans le bâtiment qu’il comptait construire sur son terrain. Mais l’expert en patrimoine retenu par le MCC pendant le procès, l’ingénieur François Goulet, recommandait plutôt de la maintenir en place et de démolir seulement la partie arrière de l’immeuble, avant de procéder à sa reconstruction.

RÉEL DANGER

Dans les derniers jours, « vu l’effondrement partiel et l’état de délabrement de la bâtisse, l’arrondissement a soumis une autre expertise au Ministère qui tenait compte du maintien de la structure et de la sécurité des travailleurs », précise l’élu du Plateau. C’est sur la base de ces nouveaux documents que le MCC a autorisé la démolition de l’immeuble jugé irrécupérable par la Ville depuis 2013.

« On va procéder avec une nacelle pour démanteler la façade. »

— Le conseiller municipal Alex Norris, qui promet de suivre ce dossier de près

« C’est bien parce que c’était devenu un réel danger, note-t-il. Il fallait en tenir compte. Et les conditions imposées à M. Desrosiers assurent qu’il y aura reconstruction de la maison qui sera respectueuse du patrimoine et qui va reproduire le bâtiment d’origine. »

Qui va payer ? « C’est M. Desrosiers », assure le conseiller.

La chronologie des évènements

1978

Guy Desrosiers achète deux immeubles de l’avenue de l’Esplanade.

1996

Les locataires sont évacués en raison de l’insalubrité des lieux.

2002

Les immeubles de M. Desrosiers sont déclarés patrimoniaux.

2013

La Ville déclare que le bâtiment situé au 4413-4423, avenue de l’Esplanade est irrécupérable. Elle met le propriétaire en demeure de le démolir.

2014

Le propriétaire demande au MCC de démonter les pierres de la façade pour les remonter à la fin des travaux.

2015

Le MCC refuse. M. Desrosiers conteste la décision.

2016

Le propriétaire dépose une nouvelle demande de permis.

2017

La Cour supérieure accueille la requête en ordonnance de démolition du bâtiment.

2018

La Cour oblige le propriétaire à faire les travaux de démolition et de réparation. M. Desrosiers fait une demande de permis à la Ville. Le MCC ne donne pas son autorisation.

2019

La bâtisse s’effondre en partie. Le MCC autorise la démolition du bâtiment, mais exige la préservation de la façade, qui devra être reconstruite à l’identique.

Source : Ville de Montréal

RÉPLIQUE

Une fierté dépolitisée ?

En réponse à la chronique de Mario Girard, « Une fierté fragmentée », publiée dimanche

Dans sa chronique, Mario Girard fait état de certains conflits au sein des mouvements LGBTQ+ au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, qui tendent à se matérialiser lors des célébrations de la fierté.

Non seulement la chronique décrédibilise-t-elle les enjeux pour lesquels se battent certaines franges plus marginalisées de la communauté LGBTQ+, mais elle souffre d’un manque de contexte et de nuances nécessaires pour bien saisir ces revendications.

Mario Girard commence sa chronique en soulignant les émeutes de Stonewall. Ces émeutes ont certes une importance incontestée dans la mémoire collective des mouvements LGBTQ+ en Amérique du Nord.

Or, il convient de rappeler, comme l’a fait récemment Beverly Bain, professeure à l’Université de Toronto, dans The Conversation Canada, le rôle clé qu’y ont joué deux femmes trans racisées, Marsha P. Johnson et Sylvia Rivera, pionnières de la lutte LGBTQ+ aux États-Unis.

Leur invisibilité, dénoncée par un bon nombre de chercheuses et de chercheurs, reflète l’invisibilité généralisée au fil du temps des luttes menées par les lesbiennes et les personnes trans, mais aussi les luttes menées par les personnes non blanches, ici même à Montréal. 

Autrement dit, le récit collectif des luttes LGBTQ+ n’est pas neutre et, au contraire, il tend à refléter la perspective et les réalités des franges les plus dominantes de cette communauté, soit les hommes gais blancs cisgenres.

À cet effet, bien que l’égalité juridique soit atteinte à certains égards, l’égalité sociale peine à se concrétiser. Un rapport produit par le Conseil québécois LGBT et publié en 2017 révélait les nombreuses discriminations que subissent les personnes racisées LGBTQ+ au Québec, que ce soit dans la recherche d’un logement ou dans l’accès à l’emploi. Le rapport faisait de plus état de la vulnérabilité accrue des personnes racisées LGBTQ+ face aux violences policières.

Sur le plan organisationnel, mes propres recherches ont révélé un manque évident de ressources pour les organismes communautaires œuvrant auprès de ces populations. S’ajoute aussi une invisibilité continue des réalités non blanches au sein du mouvement LGBTQ+.

À la lumière de ces enjeux, il n’est donc pas surprenant que des voix s’élèvent pour revendiquer plus de droits, mais surtout plus de place au sein des instances décisionnelles et organisationnelles, notamment au sein des comités organisateurs des marches de la fierté. Il ne s’agit donc pas de « groupuscules radicaux », comme le prétend Mario Girard, mais bien de groupes de défense de droits.

Sentiment d’exclusion

Enfin, Mario Girard conclut sa chronique en appelant au soutien à la lutte dans laquelle s’inscrivent les célébrations de la fierté. Si cette lutte semble aujourd’hui diluée dans une hypercommercialisation de la fierté, comme le soulignait la juriste Florence Ashley, on ne peut passer sous silence le sentiment d’exclusion que vivent certaines franges de la communauté LGBTQ+.

Considérant le profilage racial auquel font face les personnes racisées, devons-nous nous étonner que la présence policière aux célébrations de la fierté puisse créer un sentiment d’insécurité ? Après des années d’exclusion et du manque de prise en compte des revendications des personnes racisées, devons-nous nous étonner qu’un groupe comme Black Lives Matter puisse interrompre la marche de la fierté afin de pouvoir enfin prendre la parole ?

Plutôt que de faire reposer le blâme sur les communautés les plus marginalisées qui doivent encore se battre pour occuper la place qui leur revient, j’inviterais Mario Girard à parler de la distribution inégale des ressources au sein de la communauté LGBTQ+, du racisme systémique et de la transphobie au sein de celle-ci, ainsi que de la néolibéralisation des célébrations de la fierté qui contribue à leur malheureuse dépolitisation.

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