Acquittés sur toute la ligne

L’ex-élu municipal Frank Zampino, l’entrepreneur Paolo Catania et quatre autres dirigeants de son entreprise de construction ont été acquittés, hier, dans le cadre du procès lié au scandale du Faubourg Contrecœur. La preuve n’était pas assez forte pour confirmer les accusations de fraude, de complot et d’abus de confiance qui pesaient sur eux, selon le juge

« Ce n’est pas le jugement que nous attendions »

— Le ministère public

L’ancien président du comité exécutif de la Ville de Montréal Frank Zampino, l’entrepreneur Paolo Catania et quatre dirigeants de Construction F. Catania ont été acquittés de toutes les accusations qui pesaient sur eux dans le scandale du Faubourg Contrecœur, a tranché hier le juge Yvan Poulin, de la Cour du Québec.

Dans une décision de 88 pages dont il a fait lecture toute la matinée, le juge Poulin souligne que la preuve du ministère public ne permet pas d’étayer les accusations de fraude, de complot et d’abus de confiance. « Un verdict en matière criminelle doit reposer sur des faits tangibles et concrets plutôt que sur des possibilités, des probabilités ou des impressions », a déclaré le juge Poulin.

Le ministère public a encaissé la décision, qui fait état des faiblesses de son témoin-clé, du flou de certains de ses arguments et du manque d’éléments convaincants et probants démontrant que les accusés ont participé à un stratagème frauduleux. Mais selon la procureure Nicole Martineau, de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP), le jugement ne remet pas en question le travail de son équipe.

« Compte tenu de toute la preuve que nous avons présentée, ce n’est pas le jugement que nous attendions. Dans les prochains jours, nous allons prendre le temps de l’évaluer ainsi que l’ensemble du dossier pour déterminer s’il y a lieu ou non de porter l’affaire en appel. »

— La procureure Nicole Martineau

De son côté, Frank Zampino, par la voix de son avocate Isabel Schurman, s’est dit soulagé, surtout qu’il « a toujours clamé son innocence ». « Il déplore le fait qu’il attend cette journée depuis si longtemps. […] Il a l’intime conviction qu’il n’aurait jamais dû être accusé dans cette affaire, et se défendre dans une cause aussi médiatisée a représenté un stress émotif et financier immense pour sa famille. »

Frank Zampino et huit autres personnes font face à la justice depuis mai 2012. C’est à ce moment que M. Zampino, Paolo Catania et quatre dirigeants de Construction F. Catania, André Fortin, Pasquale Fedele, Martin D’Aoust et Pascal Patrice, ainsi que feu Martial Fillion, l’urbaniste Daniel Gauthier et le responsable financier du parti politique Union Montréal Bernard Trépanier ont été arrêtés par l’Unité permanente anticorruption (UPAC). Depuis, M. Gauthier a reconnu sa culpabilité et M. Trépanier a un procès parallèle pour des raisons de santé.

Dans son jugement d’hier, la Cour du Québec souligne que rien ne prouve que M. Trépanier ait pu jouer un rôle d’entremetteur. Me Martineau a refusé de commenter la possibilité que les accusations contre M. Trépanier puissent ainsi tomber. Une audience est prévue la semaine prochaine.

Quant au procès des six accusés, il a débuté en février 2016 et a pris fin deux ans plus tard. Il a notamment été marqué par de nombreuses requêtes en arrêt du processus judiciaire et en avortement de procès, qui sont maintenant sans objet.

Dans sa décision, le juge Poulin fait valoir notamment que « rien ne démontre que Frank Zampino n’a tenté de malhonnêtement influencer qui que ce soit ».

Au moment du développement du dossier immobilier du Faubourg Contrecœur, M. Zampino était le bras droit de l’ancien maire Gérard Tremblay. Le juge Poulin a souligné que l’explication de Frank Zampino « quant à son rôle dans le développement du site Contrecœur est cohérente, logique et rationnelle ». « Il a témoigné de manière précise », indique le juge Poulin, avant de préciser que « le contre-interrogatoire du ministère public n’a pas permis de relever de véritable contradiction, incohérence, minimisation ou exagération de sa part ».

LE PROCÈS EN CHIFFRES

63 témoins, dont 56 pour la poursuite, ont été entendus

Le procès s’est étiré sur deux ans

Six ans se sont écoulés depuis la mise en accusation

Pour comprendre l’affaire Contrecœur

Coûts surévalués, réunions problématiques et chèques énormes signés sans contrôle : retour sur les grandes dates qui ont jalonné le développement de l’immense terrain vague d’Hochelaga-Maisonneuve au centre de ce qui est devenu le scandale du Faubourg Contrecœur.

Décembre 2004

Les urbanistes du Groupe Gauthier Biancamano Bolduc (GGBB) obtiennent un contrat de la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM) pour la réalisation d’un plan d’aménagement du site Contrecœur. GGBB doit produire un plan d’affaires et préparer des appels d’offres et de qualification.

20 février 2006

Un dirigeant de GGBB assure au président de Construction F. Catania, Paolo Catania, qu’il aura accès à des documents d’experts relativement au terrain Contrecœur plusieurs mois avant l’appel d’offres.

15 décembre 2006

La proposition de Construction F. Catania est retenue par la SHDM pour le développement du terrain ; un protocole d’entente sera signé six mois plus tard.

Janvier-juin 2007

À l’invitation de Paolo Catania, des acteurs clés de l’affaire se rencontrent à plusieurs reprises au club privé 357c, rue de la Commune, dans le Vieux-Montréal, dont Martial Fillion, de la SHDM, et le responsable du financement du parti Union Montréal, Bernard Tremblay, proche de Frank Zampino.

21 août 2007

Contrat de prêt de 14,6 millions en faveur de Construction F. Catania pour payer la décontamination estimée par Groupe Séguin et LVM-Fondatec. C’est la SHDM qui finance.

8 avril 2008

La SHDM fait une avance de prêt de 3 millions à Construction F. Catania pour la construction des infrastructures municipales. En l’absence de la directrice des finances, qui est en vacances, et sans que le conseil d’administration de la SHDM en soit informé, Martial Fillion signe le chèque lui-même. Ce chèque sera suivi d’un deuxième, signé par M. Fillion dans les mêmes circonstances, en juillet.

2 juillet 2008

Frank Zampino, président du comité exécutif de la Ville de Montréal, quitte la politique.

10 octobre 2008

Martial Fillion est suspendu avec solde. La Ville de Montréal suspend toutes les transactions financières de la SHDM. Fillion sera congédié en décembre. La Presse révèle l’affaire du Faubourg Contrecœur le mois suivant.

16 février 2009

Une étude de la firme Genivar, commandée par la nouvelle direction de la SHDM, estime que la décontamination des terrains aurait dû coûter de 5,9 à 7,1 millions. C’est moins de la moitié du coût de 14,6 millions estimé auparavant.

Novembre 2009

Nouvellement formée, l’escouade Marteau de la Sûreté du Québec entreprend son enquête sur la recommandation du vérificateur général de la Ville de Montréal.

17 mai 2012

Arrestation de neuf personnes, dont Frank Zampino, Martial Fillion, Bernard Trépanier et Paolo Catania, pour complot, fraude et abus de confiance.

— Bruno Bisson et Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

Des allégations déboulonnées une à une par le juge

Une à une, les allégations du ministère public ont été déboulonnées par le juge Yvan Poulin dans sa décision rendue hier. En voici un aperçu.

Prix de vente et de décontamination du terrain

Au cœur du scandale Contrecœur, on trouve le prix de vente du terrain à Catania, 19 millions, moins les coûts de réhabilitation (14,6 millions). Selon le ministère public, c’était le résultat d’une vente au rabais malhonnête tout comme la décontamination « imputable aux accusés et étayant les fraudes reprochées ». « Il n’a pas été démontré que le prix de vente du terrain était le fruit de malversations », écrit le juge Poulin, qui rejette également le gonflement des coûts de décontamination.

Témoignage de Michel Lalonde

L’ingénieur Michel Lalonde, de la firme Groupe Séguin, a agi comme témoin-clé du ministère public, qui a ainsi soutenu que l’appel d’offres était « truqué et dirigé » depuis le tout début du développement du projet immobilier. Le tribunal a accordé très peu de crédibilité au témoignage de M. Lalonde, qualifiant ses affirmations faites sous serment d’« interprétations ». Les propos de M. Lalonde sont « de nature à laisser subsister un doute raisonnable », notamment parce que les informations n’étaient pas consignées.

Fusion SHDM-SDM

La fusion de la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM) et de la Société de développement de Montréal (SDM) devait faciliter l’attribution du contrat à Catania, a plaidé le ministère public, qui y a vu les circonstances démontrant les fraudes reprochées. Cet argument ne tient pas la route, selon le juge Poulin, qui a retenu que l’objectif était de faire des économies. « Aucune preuve ne permet de conclure que la fusion, ou le choix du nouveau cadre juridique, étaient dictés par un motif oblique », écrit-il.

Mauvaise gestion de MM. Fillion et Gauthier

Le juge Yvan Poulin retient la mauvaise gestion de Martial Fillion, qui a dirigé la SHDM jusqu’à son congédiement en 2008, ainsi que celle de Daniel Gauthier, qui présidait la firme d’urbanisme Groupe Gauthier Biancamano Bolduc (GGBB), une filiale de la firme de génie Dessau. Ils « ont commis des malversations », écrit-il. Daniel Gauthier a d’ailleurs reconnu, il y a deux ans, avoir comploté pour favoriser Catania. Ainsi, le ministère public prétendait que MM. Fillion et Gauthier ne pouvaient avoir agi seuls. C’est « un appel à la spéculation », peut-on lire dans le jugement. Rien ne démontre que « les accusés connaissaient [ces] manquements » ou qu’il y a eu « une connivence, une collusion ou une complicité ». Aucun des accusés ne pouvait même s’en douter, indique le juge Poulin, en se référant à l’aide financière de 15,8 millions accordée par la SHDM à Catania. Quant au taux d’intérêt avantageux (taux de base majoré de 0,5 % plutôt que 2 %), cela s’inscrivait dans une négociation commerciale légitime, croit le juge.

Le choix du promoteur

Certains aspects du processus d’appel d’offres qui a mené à l’attribution du contrat à Catania « posaient véritablement problème ». Par exemple, le comité de sélection composé de l’urbaniste Daniel Gauthier, de l’agent officiel d’Union Montréal Marc Deschamps, de l’avocat d’Union Montréal Mario Paul-Hus et du directeur général adjoint de la SHDM Jean-François Bertrand n’était pas neutre, affirme le juge Poulin. Mais selon ce dernier, cela est strictement attribuable à MM. Fillion et Gauthier ; Frank Zampino ignorait l’identité des membres du comité, qu’il a apprise après son départ de la politique, a retenu le juge.

Ils ont dit

« Cela ne remet nullement en cause les efforts que nous faisons à la Ville pour lutter contre la collusion, que ce soit avec le Bureau de l’inspecteur général ou la vérificatrice générale. »

— Valérie Plante, mairesse de Montréal, qui a été surprise par le verdict

« Comme citoyen, je suis un peu découragé que les condamnations ne soient pas au rendez-vous alors que les dossiers semblaient assez solides. »

— Jean-François Lisée, chef du Parti québécois, qui s’est gardé de critiquer le travail des policiers et des procureurs de l’État

« Ce qu’on souhaite, c’est que le DPCP évalue […] s’il y a des motifs d’appel dans le jugement, parce que la population doit avoir confiance dans les institutions. »

— Simon Jolin-Barrette, député de la Coalition avenir Québec 

« [Cette décision] entache sérieusement la crédibilité de notre système dans son ensemble. »

— Amir Khadir, député de Québec solidaire

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