Enquête
Le cas belge
La Presse
Avec sa longue barbe, ses références constantes au Coran et ses discours procharia très radicaux, Fouad Belkacem est devenu une « rock star » parmi les jeunes musulmans des villes défavorisées de Belgique. « C’est indéniablement un leader charismatique. Les gens qui l’entourent l’adorent et l’adulent.
Ses paroles n’ont pas toujours été aussi agressives. Il y a eu une progression vers des discours de plus en plus violents », note Rik Coolsaet, spécialiste du terrorisme et de la radicalisation à l’Université Ghent, en Belgique.
Les leaders comme lui sont généralement plus vieux que les membres de leur groupe, ont des connaissances plus approfondies au sujet de l’islam et de l’idéologie djihadiste, explique le chercheur italien Lorenzo Vidino, directeur du Programme de recherche sur l’extrémisme à l’Université George Washington. « Ils ont aussi des contacts directs avec des djihadistes confirmés sur le terrain. Cela leur donne du prestige et en fait de bons vendeurs auprès des jeunes », ajoute M. Vidino.
Fouad Belkacem a écopé de 12 ans de prison en février dernier, au terme d’un procès pour terrorisme intenté contre lui et 46 autres coaccusés de Sharia4Belgium. La plupart des accusés sont toujours en Syrie ou sont morts sur le terrain.
Sharia4Belgium, aujourd’hui dissous, est directement responsable du recrutement et de l’envoi d’au moins 45 jeunes hommes en Syrie. Il s’agit d’une organisation assez informelle, qui n’a pas immédiatement été prise au sérieux par les autorités à sa création, en 2010. Ses sympathisants pouvaient assister à un seul prêche par mois, voire moins. Sa structure ressemblait à celle d’un « essaim » d’abeilles, qui se réorganise sans cesse, explique le professeur Coolsaet. « C’est une organisation qui fonctionnait de façon complètement inverse des cellules djihadistes traditionnelles, très hiérarchisées, qui ont toujours cherché à éviter l’attention. Au contraire, Sharia4Belgium cherchait beaucoup les projecteurs des médias, organisaient des manifestations dans les rues. Ses membres influents sont des provocateurs et des activistes », précise-t-il.
L’influence de Sharia4Belgium a d’abord commencé dans les mosquées, mais à mesure que les autorités se sont penchées sur le groupe, son influence s’est déplacée sur les réseaux sociaux. « C’est un phénomène qui isole les membres. L’internet est utilisé comme un instrument qui agit comme facteur aggravant, mais son importance dans l’équation est généralement exagérée », estime le professeur Vidino.
L’âge moyen des Belges qui sont partis se battre en Syrie est de 23 ans, mais on a vu des enfants âgés d’aussi peu que 13 ans partir pour le djihad. Dans presque tous les cas, leur départ est très soudain. « On ne peut pas vraiment parler de radicalisation, affirme Rik Coolsaet. Quand on regarde les traces qu’ils laissent sur les réseaux sociaux, on voit qu’ils parlent de choses aussi banales que la façon de se maquiller avec du khôl (crayon surligneur pour les yeux). Ce sont des discussions d’adolescents. On voit que leurs connaissances politiques et religieuses sont très superficielles ».
La Belgique est un terrain fertile pour faire rêver les jeunes d’un monde meilleur. Les taux de suicide et de chômage y sont plus élevés que dans le reste de l’Union européenne. Les recruteurs de Sharia4Belgium pouvaient facilement leur faire miroiter une vie meilleure en Syrie. « On dit : venez, on va vous nourrir, vous loger dans une maison avec une piscine. C’est le djihad comme mode de vie. Le départ de ces jeunes tient davantage de la fuite en avant que du désir de combattre pour une idéologie », estime M. Coolsaet.
Sharia4Belgium est à la base une excroissance du groupe Islam4UK, dont le leader, Anjem Chadoury, est un avocat qui a lancé en 2010 un appel à la lapidation de tous les homosexuels. Peu après, des branches de Sharia4 sont apparues en Hollande, en Italie, en Espagne et aux États-Unis, mais y ont connu moins de succès qu’en Belgique.
Au Canada, le site web Sharia4Canada.com a été créé en 2010. Mais le site, qui n’a jamais été véritablement exploité, a fini par disparaître en 2014. Les membres et sympathisants recrutés par les différentes cellules du réseau Sharia4 étaient dans une majorité de cas des enfants d’immigrants de deuxième ou de troisième génération, affirme Lorenzo Vidino.