Chronique

Penser en dehors de la boîte

Ben coudon. La Caisse a réussi à révolutionner le transport métropolitain de Montréal en 288 jours.

C’est sûr, les études existaient déjà. On pourrait penser que c’est en s’appuyant sur les kilomètres de documents produits ces dernières années que la division CDPQ Infra a pu pondre un projet aussi emballant en aussi peu de temps.

Mais non, c’est l’inverse…

« On a pris tout ce qui avait été fait depuis 30 ans. On l’a lu. Et on a tout mis de côté pour partir plutôt d’une page blanche », m’a expliqué Jean-Marc Arbaud, le cerveau du projet.

Exit les tracés prévus. À la poubelle, les a priori et les contraintes qu’on s’imposait depuis trois décennies sans savoir pourquoi. On a fait table rase de tout ça pour réaliser que finalement, le plus court chemin vers l’aéroport, il n’est pas là où on le prévoyait…

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Toutes ces années, le gouvernement avait le nez collé sur son train de banlieue qui longe la 20. Aéroports de Montréal voulait un monorail en ligne droite vers le centre-ville. Et l’AMT cherchait à implanter un train léger sur Champlain.

Comme si on avait les fonds pour multiplier les lignes et technologies à l’infini, comme s’il n’y avait qu’une façon de faire chacun de ces projets…

« Parfois, les gens deviennent des fossiles ! me lance à la blague Michael Sabia. Tous ceux qui travaillaient jusqu’ici en transport en commun étaient campés dans une seule perspective. On a choisi de penser différemment. »

Think outside the box, disent les Anglais, et la solution jaillira. C’est ce qui est arrivé à la Caisse quand elle a cessé de regarder l’axe de l’autoroute 20 pour envisager de passer plutôt… sous le mont Royal. Et la lumière fut !

On n’avait plus trois projets, mais un seul. On n’avait plus une sédimentation de technologies disparates, mais un simple train léger. On n’avait plus une multitude de petits tronçons qui rejoignaient le centre-ville, mais une ligne qui desservait à la fois la Rive-Sud, l’aéroport, l’Ouest-de-l’Île et même la Rive-Nord.

Tout ce que ça prenait, c’est un regard neuf sur la carte de Montréal pour réaliser que la ligne Deux-Montagnes ouvrait la porte à une incroyable synergie entre les différents projets. Elle permettait de tout ramener sur une seule ligne déjà dédiée aux passagers, d’éviter d’interminables négociations avec le CN, tout en réduisant les budgets et les échéances du projet.

Seul problème : le tracé est plus long… Hum… Pourquoi pas un train électrique et automatique pour accroître la fréquence et la vitesse et ainsi ramener le temps de déplacement sous les 30 minutes ?

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La révolution, elle est dans tous ces petits détails qui permettent d’implanter, d’un coup, un tout nouveau réseau de transport public. Un réseau de trains légers qui ne croisent jamais de trains de marchandises. Un réseau qui dessert à la fois l’aéroport, le Technoparc Saint-Laurent, l’Université de Montréal, le bassin Peel, le secteur Bridge-Wellington (et le futur stade de baseball, dans les rêves du maire).

On pourra ainsi partir de Brossard pour se rendre à l’aéroport en transport en commun. Faire la navette entre Pointe-Claire et Saint-Laurent. Se rendre éventuellement de L’Île-des-Sœurs à l’Université de Montréal en quelques minutes.

Et on ne parle pas de « lignes projetées » en pointillé sur la carte (les habitués des cartes de métro de la STM sauront de quoi je parle). On parle d’un projet clés en main, sauf pour quelques rares éléments qui devraient suivre, dit-on.

Vous me trouvez enthousiaste ? Je le suis, même si c’est suspect en ces temps troubles et cyniques. J’ose même croire, comble de la naïveté, j’imagine, qu’il se fera dans les temps et les budgets, comme à Vancouver, à des tarifs raisonnables !

Pourquoi ? D’abord parce que c’est la Caisse qui prend les risques financiers, notamment ceux de l’achalandage (oubliez la navette à 30 $ comme à Toronto). Ensuite parce que c’est un « projet vitrine » pour la Caisse, qu’elle espère reproduire à l’étranger.

« Notre intention est de développer nos compétences opérationnelles, pas seulement d’investisseurs, m’a expliqué Michael Sabia. Nous voulons exporter ce modèle à l’extérieur du Canada. Nous discutons d’ailleurs avec pas mal de monde aux États-Unis. »

Grosse pression pour bien faire, mettons…

Oui, je le reconnais, il y a des aspects moins positifs du projet, à commencer par le fait que les stations des quartiers centraux de Montréal se feront en un second temps. Il y a aussi les hectares de terres agricoles qu’on compte grignoter à Brossard. Le transfert qu’on impose aux usagers du Train de l’Est. Et la part de fonds publics plus importante qu’escompté.

Rien n’est parfait. Mais si c’est ce que ça prend pour doter la région, d’ici 2021, du troisième réseau de transport automatisé en importance au monde, aussi vaste que le réseau du métro, ouvert 20 heures par jour, sept jours sur sept, eh bien, ainsi soit-il. Avec les stations au cœur de l’île, je dirais même : Alleluia !

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