Opinion

Conspirationnistes de tous les pays, réveillez-vous !

La suspicion face à la politique ne doit pas être détournée par des idéologies qui rejettent le savoir, la culture et l’éducation

Les sillons de vapeur que les avions laissent dans le ciel sont des chemtrails, des substances épandues pour nous empoisonner. L’alunissage d’Apollo 11 n’a jamais eu lieu mais a été filmé dans un studio. Les tours du World Trade Center, le 11 septembre, n’ont pas été détruites par des avions mais dynamitées de l’intérieur. John F. Kennedy, John Lennon, Elvis, pour ne nommer qu’eux, ont été éliminés par les Illuminati.

Voici quelques figures de théories du complot portées avec conviction par les conspirationnistes. Un phénomène social en pleine expansion qui, je pense, mérite notre attention.

Le réflexe de suspicion face aux autorités politiques n’est pas sans fondement et peut facilement être validé par la corruption ambiante, mais, dans ce cas, son orientation et l’idéologie qui la sous-tend posent problème.

En expliquant le monde par des « théories » complotistes, nous tombons dans une sorte d’absolutisme simpliste menant à des convictions claires et des certitudes rassurantes, antithèses de la nuance et de l’argumentation rationnelle, ces dernières étant vues comme des armes conspiratrices pour réduire à l’inaction. C’est l’instantanéité de la foi ici qui opère et qui libère de ces responsabilités complexes qu’induisent le savoir et les connaissances.

Il y a un fil conducteur tendu entre les millénaristes (fin du monde), les conspirationnistes, les survivalistes (préparation à la fin du monde) et les suprémacistes blancs. Souvent, les individus faisant partie de ces groupes se considèrent comme exclus, d’une manière ou d’une autre, de la société et de ses règles. Pour eux, tout est à déconstruire, car les complots et la corruption sont partout.

Il semble y avoir une idéologie commune à tous et elle est motivée par la peur, l’ignorance, le conformisme à un groupe, la foi et les croyances, le manque de confiance en soi et en l’autre. Par conséquent, le savoir, la culture et l’éducation deviennent suspects et vecteurs de propagande. Cet état d’esprit collectif (qui n’est pas sans rappeler celui d’une partie importante du bassin de population qui a fait élire le nouveau président américain…) fait écho à des situations particulières dans un passé pas si lointain.

Tous les fascismes de l’histoire ont eu, à la base, cette conjoncture où des conditions précaires engendraient une grande insatisfaction qui couvait dans la population.

Arrive alors le sauveur, qui dira les bons mots au bon moment, et les gens, comme un troupeau au galop, qui suivront aveuglément leur guide.

Voilà ce que peut donner une histoire mal enseignée dans les écoles ! Voilà ce que peut donner l’absence totale de notions de philosophie et de connaissance du comportement humain dans les écoles, même primaires !

Voilà ce que peuvent donner aussi des écoles américaines où l’on enseigne le créationisme et d’autres, ici même, où l’on fait de la propagande religieuse !

Alors quand on parle d’extrémistes qui ont été élus « même par des gens scolarisés et éduqués », il faut faire attention à quelle sorte d’éducation on fait référence. Un ingénieur, par exemple, qui n’aura presque pas lu autre chose que ses notes de cours techniques et qui ne connaît rien à la pensée philosophique, sociologique et psychologique n’aura pas le bagage pour exercer un libre arbitre digne de ce nom.

A-t-on raison de se méfier de nos gouvernants ? Oui, sûrement, ce ne sont pas les tromperies qui manquent. Il faut s’armer par contre pour bien détecter les injustices et les aliénations qui nous guettent. L’indépendance d’esprit et la libre pensée ne sont pas synonymes de croyances et de scepticisme organisé. Et ces premiers se gagnent par une éducation générale la plus complète possible.

Les bonnes cibles

À ces conspirationnistes et à nous tous finalement, je dirais que nous devrions tourner notre regard suspicieux vers ce qui mérite d’être scruté et qui ne manque pas de preuves, contrairement aux chemtrails. Comme la collusion entre la politique, la finance et les mutinationales, les injustices sociales et mondiales, cette publicité dont nous sommes gavés tous les jours partout, les algorithmes de Facebook et autres Google et Twitter, les paradis fiscaux, les coûts cachés du profit, pour ne nommer qu’eux.

Au lieu de chercher les complots où il y a peu de probabilités qu’il y en ait, nous devrions être attentifs à ce que nous regardons tous les jours sur nos écrans, ce que nous y faisons et d’où vient et où va notre argent durement gagné. La pire aliénation est celle que l’on accepte, celle qui devient normale et qui nous fait accepter tous les mensonges et toutes les faussetés.

On cherche Big Brother ? On a alors plus de chance de le trouver tout près de soi et même en soi, que dans les obscures officines des Illuminati.

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