Société

Marie Kondo et l’obsession du rangement

Marie Kondo, la papesse du rangement, est arrivée sur Netflix au début de l’année avec son émission L’ordre des choses. Après le succès de son livre Le pouvoir étonnant du rangement qui s’est vendu à des millions d’exemplaires, elle débarque dans les maisons de familles américaines qui croulent sous les piles de vêtements, de livres et de papiers et les aide à se débarrasser des objets qui ne leur apportent plus d’« étincelle de joie ». Après avoir regardé quelques épisodes, l’envie de trier, voire de tout jeter (ou presque), pour se sentir mieux devient urgente. Sommes-nous obsédés par le rangement ?

Selon la Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, il y a d’abord une distinction à faire entre ranger pour mieux fonctionner et ranger pour se rassurer. « Être organisé et rangé est une bonne chose, car c’est vouloir être efficace au quotidien et refuser de se faire envahir par le chaos, explique-t-elle. On a besoin que notre environnement nous procure une certaine quiétude. »

« Lorsque ranger a pour but uniquement de se rassurer, que ça vire à l’obsession, et que la maison est rangée à un point où elle est aseptisée, il y a un problème », ajoute-t-elle. Christine Grou estime qu’on vit dans une société de contrôle, mais que sur le plan psychologique, il n’y a pas d’impératif de ranger. « Deux éléments sont significatifs : la souffrance et l’efficacité. On peut souffrir de ne pas être capable de ranger ou, à l’inverse, souffrir parce qu’on veut constamment tout ranger. »

Les bases de la méthode KonMari reposent sur deux préceptes : jeter d’abord tout ce qui est superflu, en prenant soin d’apporter les objets qui sont en bon état à un organisme de charité, puis ranger les possessions qu’il nous reste. Il faut procéder d’un seul coup, le plus rapidement possible. Marie Kondo recommande fortement de suivre un ordre précis : d’abord les vêtements, ensuite les livres, suivis de la paperasse, puis du « komono » (un mot japonais qui veut dire « objets divers »), pour finir avec les objets sentimentaux. Certains aspects de la méthode sont plus spirituels. Par exemple, pour faciliter le tri, Mme Kondo suggère de tenir chaque objet dans sa main, puis de se demander s’il nous procure une étincelle de joie (« spark of joy »). Si oui, on le garde. Sinon, on le jette. 

Jade Boivin, 30 ans, n’a pas toujours été ordonnée. Elle n’a découvert que très récemment la méthode « KonMari » de Marie Kondo et en est enchantée. La jeune femme se sentait encombrée par un surplus de vêtements qui s’accumulait. « J’avais commencé à m’intéresser au minimalisme, mais je n’arrivais pas à me défaire de mes choses, ça me rendait anxieuse, affirme-t-elle. Ce qui me séduit dans la méthode de Marie Kondo, c’est qu’elle reconnaît l’aspect émotif que les gens entretiennent avec leurs objets, d’où son succès. Quand tu prends le temps d’être reconnaissante et de dire merci à la chemise que tu ne portes plus, c’est plus facile de la laisser partir même si tu te dis : “Oh non, je l’ai payée 100 $, je l’ai mise trois fois et je m’en débarrasse déjà ?” Eh bien, oui », dit-elle.

Un des aspects de la méthode de Marie Kondo consiste à remercier notre maison, nos vêtements et nos objets pour le bonheur qu’ils nous ont procuré. « Je comprends que ça paraît ésotérique, mais en même temps, c’est le fait d’être reconnaissante envers ce que tu possèdes, je suis reconnaissante d’avoir cette belle maison, de m’y sentir bien et en sécurité », souligne Jade Boivin.

Libérer son esprit

Elizabeth Alescio a créé en 2013 son entreprise Mlle Range-tout, qui se spécialise dans l’organisation résidentielle. Elle remarque que, très souvent, les gens font appel à ses services à la suite d’un événement significatif dans leur vie : l’arrivée d’un enfant, un nouvel emploi, un conjoint qui meurt ou un déménagement. « Les gens accumulent vraiment trop d’objets et sont tellement soulagés après leur grand rangement. C’est un vrai processus. Libérer son espace pour libérer son esprit, j’y crois vraiment, car le but ultime est de se sentir bien chez soi », dit-elle.

Catherine Patry, 40 ans, n’a pas eu besoin de Marie Kondo pour être hyper ordonnée : « Je suis née comme ça », lance-t-elle. Dans son logement, il n’y a jamais rien qui traîne, pas même une miette par terre.

« Pour moi, le désordre, c’est du bruit mental. »

— Catherine Patry

Mme Patry confie que ses souliers sont dans leur boîte originale et que ses vêtements sont classés par saison, par type de vêtements (les pantalons d’un côté, les chemises de l’autre) et par progression de couleurs. « C’est comme un arc-en-ciel, le rose, le corail, le rouge, le bleu pâle turquoise, le marine, c’est esthétique et très pratique. Il y a un souci d’efficacité et de productivité, car je déteste chercher, c’est une perte de temps. Mes amies adorent venir chez moi, car la plupart ont des enfants et pour elles, c’est un véritable havre de paix, c’est comme si elles étaient à l’hôtel ! », lance-t-elle.

Selon Ghassan El-Baalbaki, psychologue et professeur de psychologie à l’UQAM, plusieurs études démontrent que vivre dans un environnement propre et bien rangé contribue à notre bien-être, alors qu’être dans le désordre a un impact sur notre qualité de vie. « Le succès de Marie Kondo vient aussi du fait que dans les villes des pays industrialisés, l’espace est précieux, les maisons et appartements sont plus petits et on souhaite maximiser son espace. Elle propose un mode de vie qui devient une discipline et il faut y trouver son bonheur. »

Marie Kondo répond à un besoin : celui d’alléger sa vie et de vivre avec moins. Jade Boivin va plus loin. Ce désencombrement l’a menée à une profonde réflexion sur la décroissance et la consommation. Elle vient même de donner les cadeaux reçus à Noël. « Les vêtements, objets pour la cuisine et parfums que j’ai eus, je n’en ai pas besoin, alors je les ai donnés à un centre de sans-abri qui les aide à s’équiper et à se reloger. Ces objets ne m’apportent pas de joie, alors je les donne à ceux à qui ils vont en apporter. »

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