Le Canadien

Le doyen rêve à la Coupe

Dimanche, Robert Bob Fillion s’est réveillé dans une résidence pour personnes âgées de la région de Montréal. Il a enfilé sa bague de gagnant de la Coupe Stanley. Il a parlé au téléphone avec son neveu : viendrait-il le chercher ce soir pour aller au Centre Bell ? Oui. Parfait, alors.

Fillion, qui a joué avec le Canadien de 1943 à 1950, a fait de sa chambre un petit musée de sa carrière de hockeyeur. Il a sur ses murs des photos où on le voit par exemple avec Gordie Howe. Il en a une plus contemporaine en compagnie de David Desharnais, son joueur favori. Une autre photo l’immortalise avec Léo Lamoureux, Butch Bouchard, Elmer Lach, Toe Blake et Maurice Richard. « On était toujours ensemble », dit Fillion.

Sur la photo, ils sont six. Cinq sont morts depuis. Robert Fillion est le seul toujours en vie. Le temps passe vite, même parmi les immortels du Canadien de Montréal.

Depuis samedi, Robert Fillion, 94 ans, est le doyen des Anciens Canadiens. Le titre a quelque chose d’à la fois prestigieux et dangereux : par définition, on ne reste jamais bien longtemps doyen.

Pendant longtemps, Elmer Lach a porté le titre. Mais M. Lach est mort le 4 avril dernier à l’âge de 97 ans. Le flambeau est passé à John Mahaffy, un Montréalais qui n’a joué que 10 matchs avec la Sainte-Flanelle. M. Mahaffy avait très peu de liens avec l’Association des Anciens, et plusieurs se demandaient même s’il était encore en vie. L’ancien centre, qui a travaillé pour le tailleur montréalais Harry Gold après sa carrière de hockeyeur, serait mort samedi à l’âge de 96 ans, selon un membre de la famille à qui La Presse a parlé.

AUX CÔTÉS DE RICHARD ET BUTCH BOUCHARD

Dimanche, Robert Fillion est arrivé en avance au Centre Bell pour le deuxième match de la série entre le Canadien et le Lightning de Tampa Bay. Cette année, il a assisté à une trentaine de parties. Il n’a plus son permis de conduire. Des amis et des parents se chargent donc de jouer au taxi.

« J’en manque pas ben, ben, des matchs. Venir ici, ça me permet de me rappeler des souvenirs, comprends-tu ? », lance M. Fillion.

Ce soir-là, au Salon des Anciens, il a avec lui une petite serviette noire qu’on le soupçonne de traîner en permanence. Elle déborde de papiers, de souvenirs. Il en tire un menu cartonné, glané dans un train. « Ça date de quelle année ? », demande l’ancien attaquant André Pronovost. « Ça date de notre temps ! », répond Fillion, en lui pointant le prix de la table d’hôte : 1 $. « Et c’était du rosbif ! »

Le doyen des Anciens Canadiens tire ensuite une carte de hockey de sa serviette. Elle a été produite par Molson Export. On le voit qui freine sur la patinoire, il est jeune, il sourit.

« COMME UN BOUCHER... »

Robert Fillion a quitté Thetford Mines en 1938 pour aller jouer avec le club-école du Canadien, les Maple Leafs de Verdun. L’année suivante, un certain Maurice Richard arrivait au camp d’entraînement. Mais c’est surtout la rencontre d’Émile Bouchard qui l’a marqué. Les deux sont devenus meilleurs amis.

C’est à ses côtés que Fillion a remporté deux fois la Coupe Stanley, en 1944 et en 1946. Il lui a aussi donné son surnom de « Butch ». « Comme un boucher, parce qu’il découpait ses adversaires ! »

Ensemble, sur la route, Robert Fillion et Émile Bouchard étaient cochambreurs. Pendant que d’autres visitaient les bars, eux préféraient les musées. C’est là que Fillion a découvert une passion pour la peinture qui ne le quittera jamais. Il dit peindre encore.

Sa santé va bien dans la mesure où la santé va bien quand on a 94 ans. À moins d’être cloué au lit ou de n’avoir personne pour l’y conduire, il ne manque aucun match du Canadien au Centre Bell. Rencontré avant le deuxième match de la série, il pestait encore contre le but gagnant du Lightning lors de la première rencontre. « C’était un hors-jeu, même à mon âge, je peux le voir ! »

Pense-t-il revoir la Coupe de son vivant à Montréal ? Fillion prend un air surpris, comme si la question n’avait aucun sens. « Bien sûr, surtout cette année », dit le doyen du Tricolore.

Ce soir-là, le Canadien a perdu 6-2. Robert Fillion est rentré chez lui, dans la résidence où se trouve sa chambre et la télé sur laquelle il va regarder les deux prochains matchs à l’étranger de son équipe. Et même s’ils sont de moins en moins nombreux à Montréal à croire que cette série peut bien finir, le doyen des Anciens Canadiens, lui, y croit encore.

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