Chronique

Quand Ottawa dort au gaz

Imaginez un médecin qui, voulant réviser méticuleusement ses méthodes, arriverait en retard pour sauver un patient. Ou un pompier qui, tenant à astiquer ses tuyaux d’arrosage, se présenterait quand l’incendie est terminé.

Ces anecdotes de la lenteur collent bien à l’administration de Justin Trudeau depuis son arrivée au pouvoir. Les exemples d’attentisme se multiplient pour certains dossiers qui touchent le monde des affaires.

Après l’épisode Bombardier, où le fédéral a mis plus d’un an à débloquer le quart des fonds demandés, deux autres dossiers illustrent la lenteur du fédéral : l’application des taxes de vente sur les transactions sur l’internet et le financement du train de la Caisse de dépôt.

Ventes par internet

Depuis plusieurs années, les commerçants dénoncent l’injustice concurrentielle des produits vendus sans taxes de vente venant de l’étranger. En mars, l’illustre Peter Simons, de la chaîne de magasins qui porte son nom, a lancé un cri du cœur aux gouvernements : « Réveillez-vous ! »

Globalement, les taxes de vente non perçues par le Québec sur des produits et services vendus sur l’internet s’élèvent à 177 millions par année. Le quart viendrait de sites canadiens hors Québec et les trois quarts, de sites hors Canada, selon l’estimation du ministère des Finances du Québec.

La distribution de produits numériques est touchée. Entre autres, le diffuseur Netflix évite le paiement au Canada d’environ 85 millions de dollars de taxes de vente, auxquels s’ajoutent 35 millions de redevances au Fonds des médias.

Même phénomène pour un site comme Kijiji, qui vend ses petites annonces aux particuliers sans percevoir de taxes de vente, contrairement à son concurrent LesPAC (les annonces des deux entreprises sont gratuites, mais les suppléments sont payants).

Google et Facebook ne facturent pas davantage de taxes de vente à leurs annonceurs canadiens, selon mes vérifications, privant le fisc de revenus appréciables.

Le gouvernement du Québec affirme qu’il ne peut agir seul dans ce dossier, que la volonté doit d’abord venir d’Ottawa, essentiellement pour trois raisons : les télécommunications sont de compétence fédérale, l’internet a une portée internationale et la perception des taxes à la douane est le rôle de l’Agence des services frontaliers.

Au cœur du problème : les gouvernements doivent trouver une façon légale d’obliger les entreprises étrangères à percevoir les taxes, même si elles n’ont pas de présence physique ici.

On se serait attendu à ce que le ministre des Finances, Bill Morneau, annonce ses intentions dans le récent budget, mais non, rien, pas un mot. Une rumeur court selon laquelle la ministre Mélanie Joly a baissé les bras sur Netflix, après avoir obtenu un avis juridique qui statuerait sur le caractère non imposable des produits du diffuseur. Nos nombreuses tentatives d’avoir des commentaires du cabinet de la ministre sont restées vaines.

Pourtant, d’autres pays ont décidé d’aller de l’avant, comme Israël et l’Australie. À partir de juillet, le fisc australien exigera que les commerçants de produits numériques (logiciels, vidéos, etc.) perçoivent des taxes, ce qui comprend Netflix. On ne sait pas encore comment les autorités imposeront des sanctions dans le cas où les entreprises étrangères extérieures ne s’y conformeraient pas.

Qu’attend Ottawa pour bouger ? Comment les Simons et Vidéotron de ce monde peuvent-ils battre ces géants si ces derniers ne sont pas soumis aux mêmes contraintes ? Ottawa réagira-t-il quand un patient sera décédé ?

Hier, en fin de journée, la réponse classique est finalement venue de fonctionnaires du ministère des Finances du Canada.

« La perception des taxes sur les ventes par internet effectuées par des commerçants se trouvant à l’étranger constitue un problème difficile à résoudre pour tous les pays ; elle a fait l’objet de recherches menées par l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] dans le cadre de son projet sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Le gouvernement est déterminé à faire en sorte que le régime fiscal du Canada soit équitable et qu’il soutienne l’objectif d’une économie qui fonctionne pour tous. »

Train de la Caisse

L’autre dossier qui illustre le rythme de tortue du fédéral est celui du financement du train de la Caisse de dépôt.

Le projet de la Caisse a été annoncé en janvier 2015, il y a plus de deux ans. La solution retenue a été rendue publique en avril 2016, il y a un an. En novembre, le président de la Caisse, Michael Sabia, disait attendre une réponse de Québec et Ottawa pour le financement « d’ici trois ou quatre mois », soit avant la fin de mars.

Quelle surprise, donc, d’apprendre le recrutement par le fédéral d’une firme comptable pour le conseiller… à la fin de mars ! Certes, le rapport de la firme est censé être produit rapidement, soit d’ici le 10 mai, mais tout de même, comment expliquer ces longs délais ?

Le dossier semblait pourtant une formalité, puisque durant la campagne électorale, l’équipe Trudeau avait claironné son intention d’investir dans les infrastructures, notamment dans les transports en commun.

Au cours de l’été, la Caisse annoncera les entrepreneurs choisis pour construire le REM, pour un début des travaux cet automne. Ottawa aura-t-il alors fait son nid, et encore, pour quelles sommes ? Qui comblera le manque à gagner, le cas échéant ?

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