Assemblée nationale

Sept nouveaux mots interdits à l’Assemblée nationale

On ne peut plus accuser un adversaire de faire de la « désinformation » à l’Assemblée nationale. Ni d’être « têtu » ou, pire, un « despote éclairé ». Ces mots font partie des sept ajouts au lexique des « propos non parlementaires » survenus au cours de la dernière session. Ils font passer à 364 le nombre d’interdits figurant à la liste. Compilation des nouveautés.

« COMPLICE DE L’OPACITÉ »

La Société des alcools du Québec (SAQ) a lourdement caviardé des documents faisant état des allocations de dépenses de ses dirigeants, en réponse à une demande d’accès à l’information. Impossible d’obtenir le détail des 100 000 $ réclamés en remboursement l’an dernier. Le ministre des Finances Carlos Leitão a soutenu que la société d’État est « très transparente » et que des renseignements personnels ne doivent pas être communiqués en vertu de la loi. « En près de 15 ans au pouvoir, le gouvernement libéral a érigé un système opaque de contrôle de l’information », a répliqué le caquiste François Bonnardel au Salon bleu. « Monsieur le Ministre, vous vous faites le complice de cette opacité de ce monopole d’État. » Parler de « complice de l’opacité », c’était aller trop loin au goût du président Jacques Chagnon, qui a ordonné au député de retirer ses propos.

LISÉE ET LE « DESPOTE ÉCLAIRÉ »

Le contenu de la loi spéciale concernant l’industrie de la construction n’a pas plu à Jean-François Lisée. Québec a donné aux parties jusqu’à la fin du mois d’octobre pour s’entendre, à défaut de quoi il choisira les sujets litigieux qui seront soumis à un arbitre. Le gouvernement s’arroge un pouvoir démesuré, a plaidé le chef péquiste. Pendant qu’il s’exprimait, la ministre du Travail, Dominique Vien, soufflait des réponses à Philippe Couillard. « Ma collègue m’indique qu’il y a un amendement qui a été déposé et adopté, qui fait en sorte que les parties seraient consultées » dans le choix des enjeux envoyés à l’arbitrage, a-t-il dit. M. Lisée a tourné en dérision cette déclaration : « Ah, oui ! Bravo ! Le despote éclairé va demander l’opinion des uns et des autres avant d’utiliser son arbitraire ! » Despote éclairé ? Le président n’a pas aimé… Philippe Couillard a trouvé le moyen d’en rire : « Quand même, il a mis “éclairé”, alors c’est bien. »

LA « CORRUPTION » EN TROIS ACTES

C’était à la toute fin d’un débat de plus de 15 heures sur la loi spéciale forçant le retour au travail des juristes de l’État. « On achève une longue, longue nuit, alors je vous invite à la prudence », a dit le vice-président François Ouimet à Martine Ouellet, qui venait de déplorer le « mépris » du gouvernement à l’égard des grévistes. L’élue indépendante a fait fi de l’avertissement : avec leur loi spéciale, les libéraux laissent la « porte ouverte à la corruption », a-t-elle renchéri. Appelée à « retirer ses propos », Mme Ouellet a joué la fin finaude. « Lesquels ? » a-t-elle demandé. « Vous avez employé le mot corruption », lui a rappelé M. Ouimet. Martine Ouellet s’est finalement amendée. Au cours de la session, Jean-François Lisée et Amir Khadir ont eux aussi utilisé le mot « corruption » contre les libéraux. Et ils ont été réprimandés eux aussi.

BARRETTE, AGENT DE « DÉSINFORMATION » ?

Lorraine Richard ne prend pas souvent la parole au Salon bleu lors de la période des questions. Mais quand elle le fait, c’est remarqué. La péquiste de Duplessis n’a pas la langue dans sa poche et fait grimper le niveau de décibels. Elle s’en est prise cette fois-là à Gaétan Barrette. Elle en avait contre ses explications au sujet d’un projet de centralisation des laboratoires médicaux, décrié sur la Côte-Nord. Aussitôt qu’elle s’est levée, elle a asséné : « S’il y a quelqu’un qui fait de la désinformation ici, en cette Chambre, c’est le ministre de la Santé ! » L’arbitre est intervenu. « Je vais juste vous arrêter tout de suite », a dit le président Jacques Chagnon, lui demandant de retirer ses propos. L’élue s’est exécutée. Alors « on repart », lui a dit le président. Et Mme Richard est effectivement repartie dans une envolée oratoire contre le Dr Barrette : « Ayez un petit peu moins d’orgueil puis occupez-vous du monde ! » L’arbitre l’a laissée passer, celle-là.

DÉTECTEUR DE « MENSONGES »

Tout comme « cochonneries », le mot « mensonge » est proscrit à l’Assemblée nationale depuis 1986. Or, une maxime comprenant ce mot s’est ajoutée au lexique des propos non parlementaires. Gracieuseté d’André Villeneuve. Le député péquiste en avait marre que Philippe Couillard martèle qu’il y avait « un trou de 7 milliards de dollars » lors de son arrivée au pouvoir. Selon lui, le premier ministre « ne dit pas réellement ce qui était la situation ». Remarquez l’effort dans la formulation pour éviter d’être grondé par le président. Il n’a pas accusé explicitement Philippe Couillard de mentir, n’est-ce pas ? Il a toutefois dépassé la limite permise par la suite : « Vous vous rappelez la maxime, hein ? À répéter un mensonge, il devient vérité. Alors je trouve ça vraiment triste. » Le vice-président François Ouimet a donné raison aux libéraux qui y ont vu des « propos inacceptables ». « Monsieur le Député, vous êtes ici depuis plusieurs années, vous connaissez la règle… »

« PROTÉGER LA FAMILLE LIBÉRALE »

Le chef syndical des policiers du Service de police de la Ville de Montréal, Yves Francoeur, a mis du piquant dans la session parlementaire en déclarant qu’une enquête criminelle contre deux élus libéraux serait bloquée depuis 2012. Il y aurait eu « obstruction » et « interférence » au Directeur des poursuites criminelles et pénales pour éviter le dépôt d’accusations, a-t-il dit. Au Salon bleu, la caquiste Nathalie Roy ne s’est pas fait prier pour charger les libéraux : « Vous vous servez des outils du pouvoir pour protéger la famille libérale ! » Le vice-président de la Chambre, François Ouimet, lui a reproché de prêter des « intentions indignes » au gouvernement. Mme Roy a rouspété un peu, mais elle a fini par s’amender.

« TÊTUS », LES LIBÉRAUX ?

La société Bombardier a fait parler d’elle pendant la session. Mais pas pour les raisons qu’elle aurait souhaité. L’opposition a déposé une motion pour « que l’Assemblée nationale fasse sienne la position de la Caisse de dépôt et placement de s’opposer à la résolution consultative sur la rémunération des dirigeants », qui prévoit des hausses importantes. Les libéraux ne voulaient absolument pas se mêler de ce débat. « C’est triste à dire, mais c’est soit qu’ils n’ont pas encore compris l’enjeu ou ils sont têtus ! », a lâché le caquiste André Lamontagne. Le député a compris aussitôt qu’il venait probablement de commettre une erreur : « Je ne sais pas si j’ai le droit de dire un mot comme ça… » Ses doutes étaient fondés. « Ce sont des paroles blessantes, alors je vous demande de retirer ce mot-là », a exigé le vice-président François Ouimet.

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